Hokusai est sans aucun doute l’artiste japonais le plus célèbre. À travers plus de 500 pièces, l’exposition de la RMN dévoile cependant des facettes insoupçonnées du maître de l’estampe.
PARIS - On croyait tout connaître de Katsushika Hokusai (1760-1849). Grâce à des prêts exceptionnels consentis par le Japon et à la personnalité de son commissaire scientifique, Seiji Nagata, l’exposition du Grand Palais est pourtant une formidable claque. Loin de succomber à une vision occidentale encore entachée de japonisme (l’influence d’Hokusai sur les artistes français est rapidement évoquée dans la première salle), le point de vue s’affiche résolument esthétique et… japonais ! Plongé dans une douce pénombre propice à la protection des œuvres, le visiteur chemine ainsi dans un parcours épousant les six grands moments de la carrière prolifique du peintre nippon. Si le procédé peut sembler artificiel, il fallait bien trouver une grille de lecture pour saisir la personnalité de celui qui se baptisa lui-même « le vieil homme fou de peinture ».
Peu de créateurs ont, en effet, à ce point brouillé les pistes, défié les classifications. Sa vie elle-même concentre tous les ingrédients du romanesque ! Naissance obscure, adoption par un oncle miroitier officiel à la cour du shogun, débuts prometteurs dès l’âge de 15 ans puis carrière aussi mystérieuse, audacieuse que protéiforme… Il n’en fallait pas plus pour qu’Hokusai incarne, aux yeux des critiques d’art de la seconde moitié du XIXe siècle, la figure de l’Artiste par excellence.
Plus d’un siècle a passé et certaines des estampes d’Hokusai se hissent toujours au rang d’icône telle cette Grande Vague de Kanawaga (1830-1831) qui reflète, à elle seule, la fascination du peintre nippon pour une nature sublime et sauvage tout à la fois. On aurait tort, cependant, de résumer le génie d’Hokusai à cette veine cosmique et tourmentée. L’artiste va égrener au fil de sa tumultueuse existence d’innombrables changements d’identité qui correspondent à autant de variations de styles (l’artiste usa de plus de 120 pseudonymes !). Sous le nom de « Katsukawa Shunro » (1778-1794), le jeune artiste signe ainsi ses premiers portraits d’acteurs, de jolies femmes et de guerriers célèbres à l’intention d’une vaste clientèle. En adoptant le pseudonyme de « Sori » (1794-1805), le peintre change alors radicalement sa manière : aux estampes bon marché se substituent les calendriers illustrés (egoyomi) et les luxueuses gravures destinées à l’usage privé (surimono). L’humour teinte cependant bien des œuvres de l’artiste, tel ce trio de tortues engagées dans un ballet facétieux. L’année 1798 sonne une autre rupture : s’affranchissant des mœurs de ses contemporains, Hokusai change de nouveau d’identité et adopte la posture d’artiste indépendant. En passant du vocable d’Hokusai à celui de « Katsushika Hokusai », il manie alors le pinceau avec une hardiesse grandissante et affine peu à peu son style, fait de délicatesse et de cocasserie. Tandis qu’il réconcilie techniques occidentales et onirisme nippon, surgissent d’inoubliables images de courtisanes éthérées, de fantômes et de moinillons, mais aussi de natures mortes ou de scènes de la vie quotidienne d’une simplicité exquise…
Peinture sur soie
Suivi par un nombre croissant d’admirateurs et de disciples, le maître se lance alors dans une vaste entreprise artistique et éditoriale : les « Hokusai Manga », soit quelque 3 900 dessins destinés à l’usage des jeunes artistes. Le visiteur aura bien du mal à s’extraire de ces planches d’une hallucinante virtuosité !
Ce n’est cependant qu’à l’aube des années 1830 qu’Hokusai signera, sous le pseudonyme de « Litsu », ses chefs-d’œuvre les plus accomplis, telle cette série des Trente-six vues du mont Fuji dont la perfection formelle subjuguera Cézanne…
L’exposition se clôt par un ensemble remarquable de peintures sur soie, dont ce Dragon parmi les nuées réalisé par le maître alors qu’il était âgé de 82 ans. On est tenté de deviner derrière cette créature au regard torturé un autoportrait déguisé du vieux peintre, encore hanté par les questionnements artistiques au crépuscule de sa vie…
Commissariat : Seiji Nagata, directeur du Katsushika Hokusai Museum of Art ; Laurence Dalon, adjointe du directeur scientifique de la Réunion des musées nationaux-Grand Palais
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La déferlante Hokusai
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Abonnez-vous dès 1 €Du 1er octobre 2014 au 18 janvier 2015 (relâche entre le 21 et le 30 novembre), Grand Palais, entrée Clemenceau, place Clemenceau, 75008 Paris, tél. 01 44 13 17 17, www.grandpalais.fr. Catalogue, Éditions de la Réunion des musées nationaux-Grand Palais, 416 p., 590 ill., 50 €.
Légende photo
Katsushika Hokusai, Vent du sud, ciel clair [le Fuji rouge], série : « Trente-six vues du mont Fuji », Fugaku SanjÅ«rokkei GaifÅ« kaisei, début de l’ère TempÅ (vers 1830-1834), estampe nishiki-e, format Åban, 26,1 x 38,1 cm, signature : Hokusai aratame Iitsu hitsu, éditeur : Nishimura-ya Yohachi, British Museum, Londres. © Photo : British Museum, Londres, dist. Rmn/The Trustees of the British Museum.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°421 du 17 octobre 2014, avec le titre suivant : La déferlante Hokusai