Au rythme des changements que connaît Florence, le Musée Jacquemart-André raconte l’histoire des portraits au temps des Médicis dans un parcours didactique.
PARIS - L’art du portrait parmi les élites florentines est le thème de la dernière exposition du Musée Jacquemart-André conduite sous l’égide de son conservateur Nicolas Sainte Fare Garnot, après vingt-trois années passées consacrées à son développement. Le commissaire d’exposition a choisi une présentation claire et didactique, centrée autour de quelques grands moments du XVIe siècle. Faute d’espace, certains thèmes ont dû être laissés de côté, comme les portraits d’artistes ou encore la sculpture et le dessin. Carlo Falciani, professeur à Florence, a su éclairer son parcours vibrant des tensions de la ville, basculant de la République à la monarchie, du conservatisme à l’humanisme, de l’idéal au naturel.
Depuis la Renaissance, le portrait est un genre qui tire son prestige de l’Antiquité et donc de la sculpture. Les vues de profil sont aussi inspirées des camées, des médailles ou des pièces de monnaie. L’exposition s’ouvre ainsi par un sombre Jérôme Savonarole, le prédicateur qui dénonça la corruption et la dissolution des mœurs. Fra Bartolomeo l’a peut-être peint en 1498 dans la cellule où il attendait son exécution. Ce portrait aux traits archaïques, d’une austérité accentuée, traduit l’admiration du futur moine pour ce « prophète ». Ce personnage concentre les contradictions de Florence ; lui qui, au nom de l’éthique et de la démocratie, multiplia les violences dans sa ville.
La période républicaine
Le défilé ici présent de personnages de la bonne société, dans des paysages sous une douce influence flamande, l’aurait sûrement irrité. Un portrait de dame est accroché à côté d’un panneau orné d’un masque, qui devait le recouvrir. Dans cette atmosphère encore austère, il était courant de dissimuler ainsi les visages pour les révéler à quelques invités, en soulevant le panneau-masque. L’œuvre a connu une demi-douzaine d’attributions, comme celle ici au fils (Ridolfo del) Ghirlandaio, qui n’est pas forcément probante, en comparaison du portrait voisin dont il est l’auteur. Le même doute se pose à propos du seul dessin présent – prêté par un marchand londonien qui l’avait trouvé à Drouot – et qui paraît bien plat pour être attribué à un artiste aussi brillant qu’Agnolo Bronzino. Ce peintre, très représenté dans l’exposition, signe un des premiers portraits d’apparat, celui du général Colonna, rallié à Cosme de Médicis. Doté de tous les attributs militaires, il pourrait être celui qui fut montré à la foule lors de sa cérémonie funèbre en 1548 en l’église San Lorenzo. Il fait face à la figure au long nez d’Alexandre de Médicis, exécutée par Giorgio Vasari (toujours meilleur écrivain que peintre). Personnage mal aimé, surnommé le Maure car il était né d’une union avec une esclave mauresque, le duc de Florence reprit la cité en 1531, actant la mort de la République. Devenu le premier duc de Toscane, il fut assassiné par son cousin, surnommé « il Lorenzaccio », le futur héros de la tragédie d’Alfred de Musset. Cette salle aligne les armures, symboles du retour en force des Médicis et démonstration de l’habileté des artistes dans le rendu des reflets, pour assurer leur suprématie sur la sculpture.
L’idéal platonicien
Y succède le portrait idéal, dont Philippe Costamagna souligne l’influence de Raphaël dans le catalogue, censé rendre les qualités « morales et poétiques » des intéressés, immanquablement vêtus de noir, relève Carlo Falciani. Un double portrait d’amis par Jacopo Pontormo confond les deux corps et on ne sait trop à qui appartient la main désignant le dialogue de Cicéron célébrant l’amitié, « harmonie de toutes choses, humaines et divines », bien au-dessus du goût du pouvoir, de l’argent et du fruste « plaisir des sens ». L’idéal platonicien se trouve ainsi au cœur de l’humanisme toscan, la référence à Cicéron pouvant aussi trahir une allusion à son traité De la République, au moment où elle est appelée à disparaître en Toscane. Par la suite, les représentations vont se complexifier, les vêtements devenir de plus en plus riches et colorés, et les enfants et les petits chiens, symboles de fidélité, vont faire leur apparition dans les portraits de mariage ou de famille.
Le passage le plus réussi reprend les références à la poésie et la musique (que l’on aurait aimé entendre dans la salle) considérés comme arts suprêmes. Peint par Andrea del Sarto, un lettré pointe du doigt une page de Pétrarque sur l’amour qui prend et déprend, dont il faut deviner le passage. Bronzino a représenté ses amis, la poétesse Laura Battiferri, « la disgracieuse », de profil, rappelant les anciens portraits de Dante, et le tout jeune Lorenzo Lenzi, tenant un poème sur la vertu embrasée de Benedetto Varchi, lequel, tombé fou amoureux, en fera son compagnon pour la vie. L’art du portrait est bien, selon les mots de Cristina Acidini, « l’un des plus prompts à saisir l’air du temps ».
Nombre d’œuvres : 41
Commissariat général : Carlo Falciani
Scénographie : Hubert Le Gall
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La cour des Médicis à visage découvert
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 25 janvier, Musée Jacquemart-André, 158 boulevard Haussmann, 75008 Paris, mardi-dimanche 10h-18h, lundi 10h-20h30, entrée 12 €, www.florence-portraits.com. Catalogue 208 pages, 32 €.
Légende Photo :
Ridolfo del Ghirlandaio, Dame au voile (la "Monaca"), 1510-1515, huile sur toile, 65 x 48 cm, Galerie des Offices, Florence. © Soprintendenza Speciale per il Patrimonio Storico Artistico ed Etnoantropologico e per il Polo Museale della Città di Firenze/Gabinetto Fotografico
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°442 du 2 octobre 2015, avec le titre suivant : La cour des Médicis à visage découvert