PARIS
La rétrospective de la Maison de la culture du Japon explique comment le peintre a mis en œuvre son apprentissage traditionnel pour s’approprier les recherches de ses contemporains de l’École de Paris.
Paris. L’exposition paraît minimaliste avec ses 36 peintures. Pourtant, il s’agit d’une réelle rétrospective présentant des œuvres de 1914 à 1962. Né à Tokyo dans une famille aristocratique, Tsuguharu Léonard Foujita (1886-1968) a appris la peinture traditionnelle japonaise (nihon-ga) et la peinture occidentale (yo-ga) avant d’arriver en France en août 1913. Les commissaires, Yoko Hayashi, chargée de recherche de l’Agence pour les affaires culturelles du Japon, et Sophie Krebs, conservatrice en chef au Musée d’art moderne de la Ville de Paris, ont fait venir 22 œuvres du Japon, le reste étant conservé ici.
Si les toiles réalisées pendant les années 1930 à l’occasion de voyages en Amérique latine, en Chine ou à Okinawa sont une découverte, l’événement est la présence de deux tableaux de guerre. Pendant le conflit sino-japonais et la Seconde Guerre mondiale, Foujita, nationaliste, peignait des œuvres de propagande. Un témoin, cité par Phyllis Birnbaum dans sa biographie du peintre, raconte qu’il partait peindre les lieux des combats en uniforme, car il avait un statut de général : « D’un seul coup d’œil, on pouvait voir combien il était content de lui. » Accusé de crimes de guerre après la défaite, il finit par rentrer en France, blanchi. Il acquit la nationalité française en 1955 et se convertit au catholicisme en prenant le prénom de Léonard. Les œuvres de sa dernière période sont assez déconsidérées dans son pays d’adoption. « Il semble entrer dans le monde du mauvais goût », juge Sophie Krebs dans le catalogue.
En réalité, Foujita nous raconte une passionnante histoire en miroir. Nous avons l’habitude de chercher le japonisme chez les artistes français. Chez lui, c’est l’inverse qui fascine. Très vite, il a utilisé le nihon-ga pour représenter le monde occidental. On apprend à un peintre traditionnel japonais à se couler dans l’œuvre des maîtres précédents et Foujita a appliqué cet enseignement pour s’accomplir. Ses nus couchés sont inspirés de ceux de Titien, Giorgione et surtout Modigliani. La composition des Cinq Nus (1923) vient des Demoiselles d’Avignon de Picasso. Son tableau de guerre Nos frères de Saipan, fidèles jusqu’à la mort (1945) transpose Les Massacres de Scio de Delacroix et Le Radeau de la Méduse de Géricault. Ses œuvres religieuses découlent des polyptyques flamands et Au café (1949) est un hommage à Toulouse-Lautrec… Dans cette démarche d’imprégnation, il est allé jusqu’à s’attacher à l’art populaire qu’il collectionnait. Ses pendants Mon intérieur, Paris (Nature morte au réveil-matin) (1921) et Mon intérieur, Paris (Nature morte à l’accordéon) (1922) sont issus des trompe-l’œil du XVIIe siècle – il en a certainement vu au Louvre et dans les galeries – passés de la peinture au décor de porcelaines de table. Enfin, l’extraordinaire 48 richesses de la France (1960-1961) pourrait être une interprétation grinçante des illustrations, célébrissimes à l’époque, de Germaine Bouret. Ce que nombre d’Occidentaux ne comprennent pas, c’est que Foujita est toujours resté un peintre profondément japonais…
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°516 du 1 février 2019, avec le titre suivant : La conversion de Foujita à l’Europe