Histoire

Algérie - Entre histoire et géographie

La colonisation de l’Algérie au MuCEM

Le MuCEM raconte, pour un public averti, l’histoire de l’Algérie depuis 1830, en faisant l’impasse sur « les événements », à travers des cartes géographiques et des documents historiques.

Par Jean-Christophe Castelain · Le Journal des Arts

Le 29 mars 2016 - 921 mots

Le Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée raconte la conquête de l’Algérie et la période coloniale à travers des cartes géographiques. Un exercice périlleux pour un public plutôt averti. JeanFrançois Chougnet, son président, oriente la programmation vers des sujets de société plus transversaux et contemporains.

MARSEILLE - « Made in Algeria » est dans un entre-deux plus ou moins assumé. Ce n’est pas simplement une « exposition dédiée à la cartographie et à son développement dont la conquête et l’expansion française en Algérie ont été le moteur », comme la présente le dossier de presse. Ce n’est pas non plus l’exposition que tout le monde attend et qu’il faudra bien faire un jour sur l’Algérie française. Car on sent bien que les deux commissaires ont été tentés à plusieurs reprises de sortir de leur programme pour raconter des bribes de ce grand récit attendu à l’aide d’autres supports que des cartes géographiques, et qu’ils se sont autocensurés pour ne pas basculer dans une exposition d’histoire ô combien piégeuse.

À cette réserve près qui exprime surtout l’envie d’en savoir plus, l’exposition est formidablement intelligente, mais risque de ne toucher qu’un public érudit en raison de ce qui est montré. Il faut en effet passer du temps pour lire les cartes qui précèdent la conquête de 1830, ou les plans d’urbanisation d’Alger que les Français ont voulu dessiner peu de temps après leur arrivée. Même les tableaux d’histoire, qui agrémentent le parcours, tel celui de Decan qui représente « Le maréchal Randon qui reçoit la soumission des tribus de la Grande Kabylie » requièrent une lecture attentive. Parmi ces tableaux, se détache « une vue générale de l’itinéraire suivi par la colonne expéditionnaire […] » de Jean Antoine Siméon Fort (1841), dont la visée militaire s’efface devant le paysage grandiose représenté.

Des affiches encourageant la colonisation
Il faut également passer du temps devant un document fascinant, une affiche de 1850 qui invite : « les Français, chef de famille, ayant des connaissances agricoles… » à se porter candidat pour obtenir une concession et « peupler un nouveau village ». L’affiche étonne par son efficacité pratique et publicitaire. Les textes contenant les informations pour les futurs colons se déploient autour d’une carte traçant les liaisons maritimes depuis le sud de la France vers les principales villes d’une Algérie réduite à sa bande côtière. Car pendant longtemps les cartes ne reproduiront que l’Algérie « utile », délaissant le désert du sud. Le catalogue ne sera malheureusement pas d’un grand secours, de nombreuses œuvres ne sont en effet pas reproduites, tandis que son format réduit la lisibilité des grandes cartes topographiques publiées.

Imagerie coloniale
Le profil des deux commissaires témoigne du balancement entre histoire et géographie. Jean-Yves Sarazin est le directeur du département des Cartes et plans de la Bibliothèque nationale de France, il est en quelque sorte le « monsieur carte géographique » de l’exposition. Zahia Rahmani, travaille à l’Institut national d’histoire de l’art et est fille de Harki. Le statut des documents présentés n’est évidemment pas neutre, puisque la plupart d’entre eux ont été produits par la puissance coloniale. En témoigne cette affiche de propagande de 1930 sur une Algérie agricole généreuse cultivée par des Arabes sous l’autorité bienveillante d’un fermier blanc. Conscients de la prépondérance de l’imagerie coloniale, et sans doute gênés par l’occultation de la guerre d’Algérie, les commissaires ont ajouté une section sur l’Algérie d’après 1962 avec des documents et des œuvres d’art contemporains, au risque de brouiller le propos. Mais il serait injuste de leur en faire le reproche tant cette exposition grandit les visiteurs.

Made in Algeria

Commissaires : Zahia Rahmani et Jean-Yves Sarazin
Nombre d’œuvres : environ 180

« Moins de Méditerranée plus de mythologies quotidiennes »

Avec 539 000 visites dans ses espaces payants contre 650 000 en 2014, le MuCEM a subi à la fois l’impact des attentats parisiens et l’érosion naturelle après l’effet nouveauté. Il reste cependant le premier musée en région, loin devant le Musée des beaux-arts de Lyon (350 000 visiteurs). Il peut cependant compter sur un réservoir important de visiteurs gratuits (1,5 million) qui viennent admirer le bâtiment construit en 2013 par Rudy Ricciotti, ainsi que le Fort Saint-Jean relié par une passerelle et dont le succès dépasse les prévisions. « Nous n’avions pas anticipé cet intérêt pour le fort, indique Jean-François Chougnet, le président du MuCEM, nous allons ouvrir en juillet prochain un centre d’interprétation de 200 m² pour expliquer l’histoire du lieu. » Le président veut aussi cibler les Marseillais : « 80 % sont déjà venus au MuCEM, il faut les faire venir régulièrement », dit-il voyant dans la fréquentation grandissante des conférences (40 000 personnes), un gage de succès. La programmation future, initiée par Bruno Suzzarelli, son prédécesseur parti en septembre 2014, commence à porter sa marque et repose sur deux axes : étudier les sociétés contemporaines méditerranéennes et remettre au goût du jour les objets du quotidien. « Malgré un focus sur l’Albanie en septembre 2016, je ne souhaite pas prendre les pays méditerranéens les uns à la suite des autres », préférant des sujets traversant tels que Jean Genet et la Méditerranée, le recyclage des ordures ménagères, dix siècles d’aventure sur la mer (coproduite avec l’Institut du monde arabe) et, bien sûr, le football en 2017, lorsque Marseille sera capitale du sport. Mais son tropisme l’entraîne plutôt vers les « mythologies quotidiennes » avec une exposition sur Picasso et les arts et traditions populaires en avril 2016 et un inédit sur le roman-photo.

Made in Algéria. Généalogie d’un territoire

Jusqu’au 2 mai, MuCEM, 1 esplanade du J4, 13000 Marseille, tél. 04 84 35 13 13 www.mucem.org, tlj sauf mardi 11h-18h, entrée 14 €. Catalogue coéd. Hazan et MuCEM, 240 pages, 35 €.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°454 du 1 avril 2016, avec le titre suivant : La colonisation de l’Algérie au MuCEM

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