Constituée d’œuvres données par ses amis ou acquises tout au long de sa vie, la collection du peintre a pu être établie et en partie exposée au Musée Marmottan-Monet.
Paris. Le public a rarement l’occasion de vivre les enquêtes passionnantes qui font le quotidien de certains historiens de l’art. C’est ce plaisir que lui offre le Musée Marmottan-Monet à travers l’exposition consacrée à la collection de Claude Monet sous le commissariat de Marianne Mathieu et Dominique Lobstein. Le peintre possédait des œuvres d’autres artistes et, nous précise le catalogue, il ne les montrait quasiment à personne. Après sa mort, celles qui étaient encore en sa possession ont été en grande partie cédées par son fils, Michel, qui avait de gros besoins financiers. Or, en froid avec l’administration fiscale, celui-ci ne gardait pas trace de ses transactions. Il a fallu des années de travail aux deux commissaires pour établir une liste des œuvres passées chez Monet. Ce document inestimable est publié à la fin du catalogue de l’exposition.
La centaine de peintures, sculptures, photos et lettres ici rassemblées raconte les amitiés du peintre, l’admiration qu’il vouait à certains de ses contemporains, ses engouements passagers ou ses difficultés financières (les peintures qu’il a vendues sont intégrées dans le catalogue), ainsi que les hommages qu’il recevait d’autres artistes. « C’est une histoire d’homme », résume Dominique Lobstein.
Par les cartels développés, les panneaux pédagogiques et, bien sûr, le catalogue, on apprend que, dans les ventes publiques, il achetait en général sous couvert d’un intermédiaire dont la commission doublait parfois le prix au marteau. Monet n’acquérait jamais directement auprès des artistes, mais pouvait leur demander de lui offrir une œuvre. Enfin, il ne recherchait rien qui put ressembler pour lui à un souvenir. Ainsi, lorsque sont passées en vente des peintures le représentant avec sa première femme décédée, Camille, il ne les a pas achetées. Il a pourtant recherché pour sa seconde femme, Alice, et les enfants de celle-ci, des œuvres relatives à leur passé. Dominique Lobstein insinue que la jalouse Alice veillait au grain.
Le catalogue, d’une tenue scientifique devenue rare pour ce type de publication, suit chaque œuvre de la collection à la trace, déterminant le moment et les conditions de son acquisition, les prêts dont elle a pu faire l’objet du vivant de Monet et son devenir après sa mort. Après des essais recensant les témoignages sur la collection et esquissant son histoire, il présente les œuvres par peintre en avançant dans le temps. Il était difficile d’adopter le même principe pour l’exposition, mais celle-ci commence, après le buste de Monet (1910), don du sculpteur Paul Paulin, par une photo montrant le peintre dans son atelier à proximité du médaillon Portrait de Coco (1907) sculpté par Renoir. Cette photo, sur laquelle est accroché ici ce même médaillon légué par Michel Monet, fait partie des documents permettant de reconstituer la collection. La toile présentée ensuite en ouverture n’est pas la première en possession de l’artiste (elle est arrivée chez lui vers 1874), mais elle est emblématique : La Partie de pêche (1873-1874) de Cézanne lui a été donnée en complément du prix d’achat de l’une de ses œuvres par un marchand de couleurs, probablement le père Tanguy. « Ce tableau est entré par effraction dans la collection », constate Dominique Lobstein. Il annonce l’admiration sans borne de Monet pour le peintre aixois.
La suite de l’exposition présente « les années de compagnonnage », au cours desquelles les artistes se faisaient cadeau d’œuvres. Lhuillier, Carolus-Duran, Manet et Renoir apparaissent ici, puis Caillebotte, Morisot, Pissarro et enfin Rodin. Une alcôve est consacrée aux maîtres du peintre. Il posséda au départ un petit Daubigny, offert par sa tante et vite revendu, mais il n’a pas pu être localisé. Ses premières acquisitions furent des œuvres sur papier de Delacroix, Boudin et Corot. Plus tard, il achètera des Jongkind. « À partir de 1891, sa vie est plus facile », précise Dominique Lobstein. Les entrées dans la collection se font plus rares après 1911. À sa mort, Monet aura ajouté à ses trésors des Cézanne, Renoir, Vuillard, Signac, Marquet… et des dessins de Constantin Guys. Une section est consacrée aux estampes japonaises, que le peintre considérait « [non pas comme] de l’art, mais du décor », précise Dominique Lobstein ; celles-ci faisant tout de même l’objet d’un catalogue complet.
Le travail remarquable des commissaires s’est doublé de petits plaisirs, comme celui de redécouvrir dans une collection privée un « tableau totalement mythique » que tout le monde cherchait, tel que l’affirme Dominique Lobstein. Cet Eucalyptus (1913) de Lucien Pissarro l’a pourtant un peu déçu. Il reste maintenant à tenir à jour ce catalogue de la collection Monet : la maison Christie’s, qui annonce pour novembre la vente d’œuvres que Michel Monet aurait données à sa fille cachée, y inclut un dessin de Rodin présenté comme une Salomé de 1895-1897 (ou une Salambô ?). Comme ce n’est certainement pas Michel Monet qui avait acquis cette gouache, il va falloir lui redonner une place chez son père.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°486 du 6 octobre 2017, avec le titre suivant : La collection secrète de Claude Monet enfin dévoilée