Une double manifestation éclaire les métamorphoses de la céramique dans l’art du XXe siècle et son engouement au-delà d’une pratique secondaire.
PARIS, SÈVRES - Voici une exposition qui ne tente pas d’imposer une lecture exhaustive ou définitive (le pourrait-elle seulement ?) de la question de la céramique utilisée par les artistes. Une exposition curieuse et variée, à la fois vivante et bien accrochée. En somme, une exposition très libre qui n’en dresse pas moins un ample panorama de la céramique dans le champ des arts visuels. C’est ainsi que se donne à voir la double manifestation « Ceramix » qui a pris ses quartiers à la Maison rouge, à Paris, ainsi qu’à Sèvres, à la Cité de la céramique – après le Bonnefantenmuseum de Maastricht qui en a assuré la coproduction.
Certainement n’est-il pas inutile de préciser que se passer de l’un ou l’autre volet reviendrait à manquer beaucoup, tant les deux lieux regorgent de trouvailles, découvertes et curiosités. Avec quelque 250 œuvres d’une centaine d’artistes, il y a de quoi voir en effet, à commencer par la surprise de quelques perles de Gauguin qui, au tournant du XXe siècle, et en même temps que Rodin et Jacques Carriès notamment, s’empare de ce matériau duquel tous tirent de nouvelles ressources grâce à une gestuelle plus libre et aisée, des hybridations possibles et des possibilités nouvelles en termes chromatiques ou de traitement de la surface, dans la recherche de textures en particulier.
Du passe-temps à la sculpture
Car c’est bien le point essentiel souligné par la densité de ces œuvres soudain réunies en nombre. Elle révèle à quel point la céramique a passionné beaucoup d’artistes. Loin d’être une simple technique employée pour passer le temps ou s’essayer à la nouveauté, elle est devenue véritablement sculpture en ne se cantonnant plus au seul domaine des arts décoratifs. Cité par Édouard Papet dans son essai du catalogue, René de Saint-Marceaux en livre une clef dans son compte-rendu de « La Sculpture aux Salons de 1897 » parue cette année-là dans la Gazette des Beaux-Arts : « La céramique préoccupe beaucoup maintenant les ouvriers de la forme ; ils trouvent dans les arts du feu un procédé inaltérable pour colorer les œuvres, tandis que les couleurs déposées simplement sur les pierres et les marbres ont […] presque la fragilité du pastel. » Voilà donc un matériau techniquement commode et résistant tout en étant gage d’une grande inventivité formelle.
Confrontation des traditions à l’avant-garde
La double proposition s’articule en espaces thématiques ou monographiques servant à mettre en exergue des personnalités ayant particulièrement exploité ce matériau, tels Thomas Schütte, Johan Creten, Katinka Bock ou Leiko Ikemura. Débarrassé d’une chronologie, qui sur ce terrain là serait sans doute rébarbative, c’est bien ce jeu des rapprochements qui rend l’ensemble particulièrement attrayant. Ainsi, lorsque des noms auxquels on n’associe pas forcément une telle pratique, comme les peintres Karel Appel et Asger Jörn, sont là présents dans un chapitre consacré à l’informel, où ils voisinent avec Lucio Fontana, Rosemarie Trockel et Cameron Jamie. Bien plus que dans la découverte de pièces de Picasso, Miquel Barceló ou Grayson Perry, assez évidentes dans un tel contexte, il est formidable en effet de se trouver confronté à des œuvres méconnues ou oubliées de Fernand Léger ou Raoul Dufy, quand il ne s’agit pas de complètes surprises comme cette salle où se rencontrent l’Otis Group de Los Angeles et sa distanciation d’avec le fonctionnalisme – Peter Voulkos, Ken Price, Ron Nagle… – avec, plus loufoque, la céramique « funk » de Robert Arneson. L’un des coups de maître de cette proposition tient en outre dans une salle dévolue aux Japonais du groupe Sodeïsha, fondé en 1948, et à ses suiveurs, qui prennent leurs distances avec la céramique japonaise traditionnelle et révèlent un vocabulaire d’une richesse formelle particulièrement singulière, lui aussi débarrassé de toute préoccupation fonctionnelle en vue de faire de la sculpture, tout simplement.
Commissariat : Camille Morineau et Lucia Pesapane
Nombre d’artistes : 100
Nombre d’œuvres : 250
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La céramique a le feu sacré
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 5 juin, La Maison rouge, 10, bvd de la Bastille, 75012 Paris, tél. 01 40 01 08 81, www.lamaisonrouge.org, tlj sauf mardi 11h-19h, jeudi 11h-21h, entrée 10 €.
Jusqu’au 12 juin, Sèvres-Cité de la céramique, 2, place de la Manufacture, 92310 Sèvres, tél. 01 46 29 22 00, www.sevresciteceramique.fr, tlj sauf mardi 10h-17h. Catalogue éd. Snoeck, 320 p., 39 €.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°454 du 1 avril 2016, avec le titre suivant : La céramique a le feu sacré