Longtemps jugé banal, ce matériau séduit à nouveau les artistes contemporains. Côté designers, en revanche, à défaut d’une ferme volonté des fabricants, de nombreux projets restent encore dans les cartons.
La céramique aurait-elle à nouveau les faveurs des créateurs contemporains ? Plusieurs expositions en ont fait ces derniers temps (ou en font encore) un éloge appuyé. Ainsi, entre décembre 2005 et février 2006, dans une exposition intitulée « Contrepoint », le visiteur du Louvre aura pu découvrir, au hasard de ses déambulations dans le département des Objets d’art, une douzaine de pièces en céramique d’artistes actuels réalisées par la Manufacture nationale de Sèvres, dont la moitié a été commandée spécialement pour l’occasion. On se souvient en particulier du Tatou en porcelaine de Huang Yong Ping, une bestiole longue de 4,5 m découpée en cinq morceaux, lesquels étaient disposés dans autant de plats dressés sur une table de style Napoléon III (lire p. 17).
« Pâleur de la chair »
À Milan, début avril, c’est le Centre de recherche sur les arts du feu et de la terre (Craft) de Limoges qui, à son tour, a sorti l’artillerie. En marge du célèbre Salon du meuble (lire p. 11), le Craft a présenté divers projets d’artistes et de designers réalisés en série limitée et vendus sous la marque « Craft Éditions » (1). Parmi les pièces nouvelles, on trouve entre autres le lustre Les mots sont des ombres d’Anne et Patrick Poirier – une lampe composée de trente et une feuilles de porcelaine très fines et gravées – ainsi que deux ensembles sur la question du décor : Poster de l’artiste Pierre Ardouvin – quinze plats et assiettes décorés à partir de photographies prises dans une fabrique limougeaude – et Ceram X du designer Pierre Charpin – quinze vases et boîtes exhibant des sérigraphies délicatement érotiques. Pour Nestor Perkal, directeur du Craft, la céramique a effectivement le vent en poupe : « Ce renouveau d’intérêt est notamment visible chez les artistes, affirme-t-il. Depuis une trentaine d’années, ceux-ci cultivaient uniquement l’idée de penser l’œuvre, non celle de la construire. Or, on sait aujourd’hui qu’un matériau peut rendre lisible une pensée. Du coup, et la chose est récente, les plasticiens n’ont plus peur de réfléchir au matériau. C’est le cas avec la céramique, qui, il n’y a pas si longtemps encore, était considérée comme un matériau banal. » Bref, les artistes choisissent aujourd’hui la céramique à dessein. « Si, pour sa pièce Anatomie du désir [une centaine de formes viscérales entremêlées], Javier Pérez a utilisé la porcelaine, c’est parce qu’il savait que grâce à l’émail, et contrairement à n’importe quel plastique, il pouvait s’approcher au plus près de la pâleur de la chair », estime Nestor Perkal. Idem pour l’artiste autrichien Elmar Trenkwalder : « Après être passé par moult matériaux comme le ciment, Trenkwalder a adopté la céramique, poursuit le directeur du Craft. Pourquoi ? Parce que son dessin est onirique, et la céramique lui sert à exprimer cela. ». En témoigne l’une de ses dernières œuvres, une sculpture haute de 4,5 m actuellement présentée au centre d’art contemporain Le Creux de l’enfer, à Thiers (Puy-de-Dôme) (2).
Ce regain d’intérêt pour la céramique est visible non seulement chez les artistes, mais, et c’est là une nouveauté en France, aussi chez les collectionneurs. « Aujourd’hui, et pour la première fois, les galeries d’art contemporain font appel à nous. C’est nouveau et ce n’est pas neutre », constate David Caméo, directeur de la Manufacture nationale de Sèvres. Cette dernière travaille par exemple actuellement avec le galeriste Jérôme de Noirmont (Paris) pour réaliser une œuvre de Jeff Koons. Sont aussi prévues des pièces de Bertrand Lavier, de Johan Creten, de Fabrice Hyber ou de Bob Wilson. « Évidemment, nous avons une mission de service public, qui est de perpétuer les savoir-faire et d’aider les artistes ; mais, si l’on veut que l’établissement perdure, nous devons aussi être proches de la réalité artistique du moment, explique David Caméo. S’ouvrir au marché de l’art est donc une volonté. D’ailleurs, hors de nos frontières, et dans les pays anglo-saxons en particulier, le marché de la céramique explose. Cette vague atteint aujourd’hui l’Europe. Pour une manufacture comme la nôtre, ce constat se traduit aussi de manière économique. »
Exercices de style
Si le bilan côté art s’annonce prometteur, côté design le ton est un peu moins joyeux, faute, semble-
t-il, d’une réelle dynamique de la part du secteur privé autour des projets de designers ou d’architectes. À la galerie Blanchaert, à Milan, est exposée une table de Jean-François Dingjian, dont le plateau est en carbure de silicium, une céramique ultra-technique utilisée pour réaliser les miroirs optiques des satellites. Si le matériau est très coûteux, le but est clair : comment transférer une technologie de pointe à un objet du quotidien ? La recherche ne fait que commencer. On comprend, dès lors, que le temps de l’artiste n’a rien à voir avec celui du designer. « La vitrocéramique dont sont faites aujourd’hui les plaques de cuisson a attendu vingt ans avant sa mise en place systématique », fait remarquer Nestor Perkal. Pas étonnant alors si de nombreux projets restent, pour l’heure, à l’état d’exercices de style. « Le renouveau de la céramique doit passer par les entreprises, non par les designers », insiste Perkal. À bon entendeur…
(1) Galerie Blanchaert, 4, piazza S. Ambrogio, Milan, rens. info@galleriablan
chaert.it ; jusqu’au 21 avril.
(2) Vallée des usines, 63300 Thiers,
tél. 04 73 80 26 56 ; jusqu’au 11 juin.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
La céramique se refait une beauté
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°236 du 28 avril 2006, avec le titre suivant : La céramique se refait une beauté