Corée du Sud - Biennale

BIENNALE D’ART CONTEMPORAIN

La Biennale de Gwangju tel un paysage sonore

Par Rémy Jarry, correspondant en Asie du Sud-Est · Le Journal des Arts

Le 18 septembre 2024 - 781 mots

Directeur artistique de la 15e édition de la biennale sud-coréenne, Nicolas Bourriaud a convié des artistes qui tentent de repenser l’espace public et son bruit, face aux défis politiques et écologiques actuels.

Gwangju (Corée du Sud). Réunissant 72 artistes issus d’une trentaine de pays, la 15e Biennale de Gwangju, inaugurée le 6 septembre, célèbre également le 30e (*) anniversaire de la fondation qui l’organise. Son exposition principale, intitulée « Pansori, a soundscape of the 21st century » (un paysage sonore du XXIe siècle), fait référence au pansori, un chant traditionnel coréen inscrit sur la Liste du patrimoine culturel immatériel de l’Unesco depuis 2008. Ce genre musical, originaire de Gwangju et datant du XVIIe siècle, sert de métaphore vernaculaire à l’approche curatoriale de Nicolas Bourriaud, son directeur artistique : « pan » fait référence à l’espace public, et « sori » au bruit, à la rumeur ou à la musique qui en émane.

Pour Nicolas Bourriaud, l’espace est le « nœud » qui relie les enjeux politiques et écologiques à la création artistique. Tel un radar, le son sert à révéler les principaux rapports à l’espace, identifiés selon trois configurations distinctes qui structurent l’ensemble de l’exposition principale : l’effet Larsen (« Feedback Effect »), qui symbolise le manque d’espace et la précarité du monde actuel ; la polyphonie (« Polyphonies »), métaphore de l’harmonie possible ou espérée entre l’espèce humaine et son environnement naturel ; et le son primordial (« Primordial Sound »), qui ouvre la voie à des méditations sur l’infiniment petit et l’infiniment grand, de l’atome au cosmos.

Un parcours conçu comme un « opéra »

Cette « grammaire curatoriale », selon les termes mêmes du commissaire, peut sembler absconse au premier abord. Elle se déploie cependant à travers une scénographie inspirée, commençant par des espaces cloisonnés et labyrinthiques, tantôt sombres, tantôt suréclairés, pour aller vers de vastes espaces ouverts où les œuvres s’entremêlent sous un éclairage plus doux et tamisé. Le son, quant à lui, évolue de manière indépendante tout au long d’un parcours conçu comme un « opéra » où le spectateur est invité à s’immerger.

Ce rapport entre son et espace se concrétise également dans les œuvres, en particulier celles spécifiquement conçues pour l’exposition. Dans la première section, « Feedback Effect », l’installation multimédia d’Amol K. Patil, Who is invited in the City ? (2024), offre une évocation visuelle et sonore du système des castes et de la ségrégation sociale en Inde, pays d’origine de l’artiste. Les œuvres respectives de Noel W. Anderson et de Sung Tieu se concentrent, elles, sur les structures de contrôle et de pouvoir. Anderson ajoute un contre-point saisissant avec la performance de trois jeunes Coréens : habillés en gardien de salle, ils se mettent à danser individuellement entre les œuvres toutes les demi-heures, surprenant le public.

Dans la section suivante, « Polyphonies », l’installation multimédia Valence (2024) d’Harrison Pearce incarne un rapport organique surprenant entre le vivant et la machine. Une dizaine de masses en silicone, blanches et laiteuses comme des bouchées de mozzarella, vibrent de concert dans un environnement sonore industriel conçu par Steven Atkinson. Comme pour la plupart des autres commandes de la Biennale, l’approche conceptuelle de l’artiste anglais se transforme en une création immersive et une expérience esthétique marquante. Dans la dernière section, « Primordial Sound », l’installation de Marguerite Humeau intitulée *stirs (2024), aux accents à la fois rituels et cosmiques, établit un dialogue direct avec le pansori, associé historiquement aux rites chamaniques coréens.

Intitulée « Resonance », l’extension de la biennale organisée dans le quartier de Yangnim-dong, connu pour sa communauté chrétienne et son engagement civique, convainc moins. Déployée sur plusieurs sites déjà utilisés lors de l’édition précédente, certaines œuvres s’intègrent plus difficilement, semblant parachutées dans un parcours inégal, en contraste avec la maîtrise curatoriale de l’exposition principale.

Outre Marguerite Humeau, la présence française est notable. Au total, onze artistes installés en France sont exposés, dont Loris Gréaud avec Nova Express (2023), une installation olfactive présentée dans le cadre de son exposition « Les Nuits corticales » l’an dernier au Petit Palais à Paris. L’artiste a également conçu une performance musicale avec Laure Mafo, chanteuse française de pansori installée en Corée du Sud, pour la cérémonie d’ouverture.

Côté pavillons nationaux, la France n’a pas renouvelé sa participation, mais l’ambassade de France en Corée du Sud soutient l’exposition monographique d’Orlan au Gwangju Media Art Platform (G.MAP), présentée comme un événement satellite. Plus surprenante est la présence du chef Gilles Stassart, qui a élaboré le menu du Madang Food Lab, l’extension culinaire et restaurant officiel de la Biennale, ainsi que celle de Guillaume Rouseré, exposé au pavillon du Qatar, émirat où l’artiste réside depuis une décennie.

Erratum - 20 septembre 2024

(*) Contrairement à ce qui a été publié dans le JdA n°639, la fondation qui organise la biennale de Gwangju fête son 30e anniversaire et non son 20e.

15th Gwangju Biennale,
jusqu’au 1er décembre, « Pansori, A Soundscape of the 21th Century », Gwangju Biennale Exhibition Hall, 111 Biennale-ro, Buk-Gu, et divers lieux dans la ville, www.15gwangjubiennale.com

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°639 du 20 septembre 2024, avec le titre suivant : La Biennale de Gwangju tel un paysage sonore

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