GIVERNY
Le peintre nabi affectionnait les grandes peintures mythologiques. Démonstration convaincante au Musée des impressionnismes à Giverny.
Giverny (Eure). Les expositions monographiques consacrées au peintre Ker-Xavier Roussel (1867-1944) ne sont pas rares : la dernière, au Musée de Pont-Aven, date de 2011. Mais la rétrospective que présente ici Mathias Chivot est d’autant plus justifiée que la recherche évolue constamment sur cet artiste. Le commissaire de l’exposition travaille au catalogue raisonné (plus de 3 200 dessins et peintures) et fait partie du Comité Roussel où, en compagnie de Jacques Roussel et de Nicolas Langlois de Bazillac, arrière-petits-fils du peintre, il procède notamment aux expertises.
En quatre-vingt-treize œuvres, la manifestation retrace le parcours artistique de Roussel et le seul reproche que l’on puisse lui faire est la pauvreté des informations données dans les salles et surtout dans le catalogue (où aucune œuvre n’est commentée) à des visiteurs qui ne sont sans doute pas familiers du peintre et de son temps.
Datant de ses débuts aux côtés des Nabis – Bonnard, Denis, Lugné-Poe et Vuillard, dont il épousa la sœur en 1893 – La Terrasse (vers 1892) est un projet pour le décor de la salle des fêtes de la mairie de Bagnolet (Seine-Saint-Denis). « Le fil rouge du parcours est de montrer à quel point Roussel est un grand décorateur, précise Mathias Chivot. C’est une dimension qui était assez évidente dans les années 1930-1940 et que le temps nous a fait oublier. »
Au jardin (1893) est issu d’une collection particulière. L’un des grands atouts de l’exposition est de montrer de telles œuvres, rarement ou jamais soumises au regard du public. Dans cette première section, on peut voir aussi Le Repos sous les arbres (vers 1897-1898), un pastel où Roussel a représenté Misia Godebska, alors épouse de l’homme de presse et collectionneur Thadée Natanson. Il est réapparu en 2018 lors d’une vente chez Christie’s à New York. Quant au joli Dryade, nymphe des bois (1896), « nous l’avons cherché très longtemps », avoue l’historien de l’art qui a fini par le retrouver dans une collection privée.
Ce pastel constitue une bonne introduction à la section suivante intitulée « L’essence des mythes ». À la toute fin du XIXe siècle, Roussel commence à centrer son iconographie sur l’Antiquité grecque et romaine, notamment à partir d’Ovide qu’il lit en latin. Selon Mathias Chivot, un voyage dans le midi de la France à la rencontre d’Henri-Edmond Cross, de Paul Signac et de Maximilien Luce, en 1898-1899, le sensibilise à leur anarchisme utopique. Sous l’influence de leur néo-impressionnisme, il peint Faune dansant au tambourin (vers 1900-1904), superbe huile sur papier qui a refait surface à Londres chez Sotheby’s en 2018. « C’est une vision idyllique de l’harmonie, son Air du soirà lui », résume Mathias Chivot, se référant à la toile antérieure de Cross. Mais le thème du rapt, qui deviendra récurrent, apparaît aussi à cette époque, donnant de nombreuses œuvres comme L’Enlèvement de Proserpine (vers 1910). La mythologie se trouve également à la racine de son travail sur le décor : Le Cortège de Bacchus (1912) est une maquette pour le rideau d’avant-scène de la salle de la Comédie au théâtre des Champs-Élysées, à Paris.
Enfin, la mythologie est le thème d’une suite de lithographies et d’encres noires sur calque ainsi que de pastels réunis dans la section « Planète noire ». Proches des productions du même genre d’Odilon Redon, pour lequel Roussel avait une grande admiration, ils sont, selon Mathias Chivot, le fruit d’une inspiration différente du peintre que l’on sait avoir été bipolaire. S’ils s’opposent aux couleurs éclatantes des œuvres réunies dans la section « Tout brûle dans l’heure fauve », ils datent parfois de la même époque, les années 1930-1940. L’une des icônes de l’exposition est L’Après-midi d’un faune (vers 1930, voir illustration), une immense et fragile peinture à la colle exécutée pour le chanteur lyrique Jean Périer qui avait créé en 1902 le rôle de Pelléas dans Pelléas et Mélisande de Debussy. Roussel excellait dans ces grands formats et la dernière salle en réunit plusieurs. Dans La Fontaine de jouvence (vers 1925-1926), il s’est peint en vieillard buvant le magique breuvage sous les yeux de sa maîtresse, Bé de Waard. Humour, dont on sait que le peintre ne manquait pas, ou manifeste pour un retour aux valeurs antiques ?
Une famille sur le vif
Vernon (Eure). À une encablure de Giverny, au Musée de Vernon, Mathias Chivot est également le commissaire d’une exposition de plus de soixante-dix peintures, dessins et photos de famille des Vuillard-Roussel. L’autoportrait au fusain de Roussel (1933), ses dessins représentant sa femme, Marie, sa fille Annette, son fils Jacques et la naissance de « Petit-Jean », mort peu après, y voisinent avec les peintures exécutées par Édouard Vuillard (1868-1940) au long des jours. Dans ses huiles sur carton et ses pastels, il a saisi sur le vif Mme Vuillard (sa mère et celle de Marie Roussel), Roussel lui-même et ses enfants, et surtout Annette que l’on suit des premières années à l’âge adulte. La manifestation a également le mérite de pointer l’importance de la photographie chez Vuillard, qui constitua un important fonds dont une partie était destinée au travail de Roussel.
Vuillard & Roussel, portraits de famille,
jusqu’au 3 novembre, Musée de Vernon, 12, rue du Pont, 27200 Vernon.
Élisabeth Santacreu
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°528 du 6 septembre 2019, avec le titre suivant : Ker-Xavier Roussel, ce peintre de décors