Art ancien

Arrêt sur image

John William Waterhouse, Sainte Cécile, 1895

Par Colin Lemoine · L'ŒIL

Le 18 novembre 2009 - 754 mots

1. Sainte Cécile - La femme envoûtante
Assise dans un fauteuil marmoréen, sainte Cécile est vêtue d’une robe immaculée. Endormie dans un jardin, elle pose négligemment ses mains sur un livre ouvert. S’il insère la martyre chrétienne dans un contexte édénique, c’est que Waterhouse s’inspire moins des récits canoniques que de leur traduction poétique par Alfred Tennyson dans son célèbre Palais de l’Art : « Dans une ville claire aux remparts sur la mer / Près des orgues dorées, sa longue chevelure / Tressée de roses blanches, dormait sainte Cécile ; / Un ange la regardait. »
   
Le thème, illustré précédemment par Dante Gabriel Rossetti, devient le prétexte à une narration ambivalente : derrière cette figure virginale transparaît aussi bien la patronne des musiciens que la femme envoûtante, celle dont l’amour céleste lui vaudra, ainsi qu’à son époux Valérien, d’être décapitée.
 
2. Les anges - La sérénade amoureuse
Bien que le poème de Tennyson et les textes hagiographiques n’en mentionnent qu’un seul, Waterhouse préfère représenter deux anges sur la partie gauche du tableau. Agenouillés, ces deux anges musiciens jouent la sérénade à la jeune femme endormie et flanquent l’orgue noir, un instrument dont la tradition veut que sainte Cécile ait été l’inventrice.
   
À ce lexique musical se superpose un registre plus symbolique. Les anges paraissent hypnotisés par cette femme qui, bientôt, sera littéralement fatale et que la musique semble bercer d’un charme ensorceleur. Waterhouse, qui s’inspire de la célèbre suite que Burne-Jones consacra à la Belle au Bois dormant (Briar Rose, 1871-1890), parvient à injecter à cette composition une dimension mortifère, paradigmatique du préraphaélisme.
   
    En outre, le peintre imagine une étrange synesthésie, de nombreux sens sont convoqués au cœur de la toile : l’ouïe par le son des instruments, le toucher par le rendu mimétique des tissus, l’odorat par l’exhalaison des fleurs et la vue par ce spectacle tout symphonique.
 
3. Les fleurs - L’ambiguïté symbolique
Peuplant l’étendue de ce jardin suspendu, les fleurs dessinent un réseau que traversent de nombreuses possibilités de lectures. Les roses blanches figurées à proximité des deux anges font écho à la pureté de la scène chrétienne et à la virginité revendiquée de sainte Cécile. Inversement, les roses rouges qui encadrent le visage de la martyre sont des allusions à son tempérament enfiévré. Une blanche innocence d’un côté, une passion empourprée de l’autre ; ici une sainte hyménée, là un amour incandescent.
   
De même, les pavots disposés aux pieds de la sainte ne sauraient donner lieu à une interprétation unilatérale : symboles du sommeil, ils résonnent avec l’endormissement lascif de Cécile tandis que, emblèmes de la mort, ils disent l’imminence d’une tragédie.
   
Par ailleurs, ces fleurs, en tant qu’elles naissent d’une touche colorée et vibratile, contrastent avec la représentation photographique des personnages et témoignent des répercussions de l’impressionnisme d’un Monet sur la peinture de Waterhouse. Après tout, les pavots ne sont-ils pas de larges coquelicots ?
 
4. Le paysage - La perspective abstraite
Alors que la collusion de solutions impressionnistes et d’un thème préraphaélite crée un syncrétisme inédit, Waterhouse n’hésite pas à exacerber cette perturbation visuelle en adjoignant un paysage énigmatique. Et si les barques et les remparts attestent son obédience au récit originel, le peintre laisse entrevoir à l’arrière-plan de son tableau des potentialités insoupçonnées.
   
Traités en larges bandes chromatiques, le ciel et la mer composent un morceau presque abstrait, digne d’un Ferdinand Hodler quand la montagne violette qui tranche sur ces aplats nacrés rappelle les plus belles pages d’un Alphonse Osbert. Le paysage chez Waterhouse, une trouée vers la modernité.

Autour de l'oeuvre
Infos pratiques. « J. W. Water-house, le jardin des sortilèges », jusqu’au 7 février 2010. Musée des beaux-arts, Montréal. Du mercredi au vendredi de 11 h à 21 h, le mardi à 17 h. Samedi et dimanche de 10 h à 17 h. Tarifs : 9 et 4,50 $. www.mbam.qc.ca Sainte Cécile Condamnée pour avoir converti à la foi chrétienne des païens, sainte Cécile, touchée par la Grâce dès son plus jeune âge, meurt en martyre à Rome autour du iiie siècle ap. J.-C. L’audition d’une musique céleste sur le chemin de son martyre en a fait la patronne des musiciens et des luthiers. Les différents thèmes bibliques et mythologiques abordés par Waterhouse sont amplement présentés sur le site Web du Musée des beaux-arts de Montréal. Documenté, illustré par des photos et des vidéos, ce site permet, à tous ceux qui ne pourront pas faire le voyage au Canada, d’accéder au contenu de l’exposition.

Légende Photo

John William Waterhouse, Sainte Cécile, 1895, huile sur toile, collection particulière, © Christie's

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°619 du 1 décembre 2009, avec le titre suivant : John William Waterhouse, <em>Sainte Cécile</em>, 1895

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