L’artiste belge installé à Paris expose actuellement à la galerie Perrotin. Le JdA l’a rencontré dans l’atelier de céramique Struktuur 68 à La Haye, un temps fréquenté par les artistes de CoBrA, où il a réalisé ses dernières créations.
J’ai horreur de la céramique ! La céramique et sa cuisine en soi m’ennuient. J’aime ce que cela donne, ce que je peux en faire. Pour cette raison, j’ai toujours voulu montrer mon travail dans des galeries de pointe en art contemporain. Ma première galerie à New York, Robert Miller, exposait Robert Mapplethorpe, Louise Bourgeois, Yayoi Kusama, Lucian Freud, Alice Neel… Tous des outsiders. Je me reconnais également dans cette position depuis toujours. La céramique n’a fait que la renforcer. Mon travail comporte un côté sérieux mais aussi de l’autodérision. Mes œuvres sont ambivalentes, à double sens, avec une dimension à la fois esthétique et subversive. Je ne fais pas des pamphlets mais le contenu de la pièce est chargé de sous-entendus, sexuels, politiques… Cela doit rester très beau mais aussi perturber, interroger. Le fait même que mes œuvres soient belles a longtemps été tabou. Pour la génération [de Daniel] Buren, le beau était suspect, décoratif, trop facile. Lorsque j’ai commencé, en plein mouvement minimal et conceptuel, la céramique était ringarde. Réaliser une sculpture en bronze, c’était bourgeois, capitaliste, rétrograde. Depuis, le regard a évolué.
Je commence le plus souvent par un dessin, de petites maquettes, dans lesquelles le rythme de base de la sculpture est déjà annoncé. Par exemple, j’étais invité en 2013 aux États-Unis à l’Alfred University (New York) où j’ai réalisé des petites sculptures de femmes voilées, qui sont les prémices des pièces que l’on peut voir à la galerie. Cela me prend beaucoup de temps entre les premières ébauches et le résultat final.
Pendant trente ans, j’ai tout fait tout seul. J’apprends depuis peu à travailler en équipe en donnant des indications aux personnes de l’atelier. Obtenir un rendu de couleur unie de salle de bains ne m’intéresse pas. Je cherche toujours à expérimenter des effets de matière en confrontant l’expérience des gens avec qui je travaille avec mes désirs. Je dis souvent que je peins en aveugle, car je dois visualiser en posant les émaux sur la sculpture comment les couleurs vont interagir dans le four, sachant que la température intervient aussi sur le rendu. On sait en ouvrant le four s’il y a une âme dans une pièce. Tout l’art consiste à sentir tout ça et à faire quelque chose. Le processus m’excite beaucoup. J’aime me surprendre moi-même quand mes œuvres se transforment. Il y a une part d’inconnu entre la pièce telle qu’on l’imagine et le résultat. J’ai toujours utilisé les accidents. C’est chaque fois une porte ouverte sur quelque chose de nouveau. Reproduire ce que je connais déjà ne m’intéresse pas. Mais il ne faut surtout pas qu’à la fin les secrets soient trop visibles. Il faut conserver une part du mystère.
J’ai fait de la peinture aux Beaux-Arts de Gand [en Belgique] avec Wim Delvoye, je n’ai jamais fait d’études de céramique. Mais en la découvrant, je me suis rendu compte qu’il y avait une place à prendre, qui n’avait à voir ni avec l’objet décoratif ni avec la céramique telle qu’on la connaissait jusqu’alors. Au XIXe siècle, on qualifiait de « bête comme un sculpteur » ces gens qui travaillent avec leurs tripes et leurs mains. Aujourd’hui, avec Instagram [réseau social pour le partage de photos et vidéos], on a l’impression que tout doit être propre, lisse, policé. Or mon travail reste salissant, grinçant. On joue littéralement avec le feu en transformant une boue en quelque chose de pérenne. On connaît les mécanismes de l’art. On peut refaire toujours la même chose, occuper le terrain. Pour ma part, je suis connu pour une multitude d’histoires et de types d’œuvres. Si je ne produisais chaque année que X versions très chères de mes « Odore di Femmina », ce serait plus facile. Mais je l’ai toujours refusé. Pour moi l’art n’est pas une marchandise que l’on multiplie pour vendre. Mon travail est à l’opposé. Ce sont des pièces uniques, rares, lourdes, fragiles. En proposant des créations nouvelles, il faut des collectionneurs courageux pour acheter des œuvres différentes, exigeantes. L’évolution de mon travail, c’est la prise de risque, le renouvellement, le fait de ne pas avoir de structure fixe, de toujours être dans le déplacement.
Catalogue. La rédaction d’un texte pour le catalogue d’une exposition de galerie est toujours ingrat car il faut d’abord complaire aux commanditaires, au détriment - parfois - de l’intérêt du lecteur. Dans la publication accompagnant la récente exposition de Johan Creten, cette fois chez Almine Rech à Bruxelles, Colin Lemoine, contributeur régulier de L’œil et du Journal des Arts, a habilement contourné l’obstacle en rédigeant des poèmes. Il est vrai que les huit sculptures de Creten représentant des dieux et déesses sont particulièrement riches de sens, équivoques et toujours sombres. L’auteur, par ailleurs à son affaire puisqu’il est conservateur au Musée Bourdelle à Paris, aime les mots. Il sait en jouer, multipliant les synonymes, les rapprochements formels ou sémantiques. C’est aussi un fin observateur doté d’un imaginaire nourri d’une large culture. Il en résulte des textes plaisants dans la forme et animés d’une pensée forte, servant au plus près les sculptures de l’artiste.
Johan Creten, 8 Gods, 2017, Almine Rech Gallery Publications, 151 p., 48 €
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Johan Creten, sculpteur : « J’ai horreur de la céramique ! »
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jusqu’au 10 mars, galerie Perrotin, 76, rue de Turenne, 75003 Paris.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°493 du 19 janvier 2018, avec le titre suivant : Johan Creten, sculpteur : « J’ai horreur de la céramique ! »