Grand peintre né en 1677 et mort cinquante-sept ans plus tard, Jean Raoux a mené grande vie. Sous les lambris du pouvoir, sous les feux de la rampe, l’homme fut à la mesure de l’artiste : habile, subtil et élégant. Un enfant du siècle…
La généalogie artistique est parfois ingrate. Au demeurant, entre Poussin et Boucher, entre Le Brun et Fragonard, la place est étroite pour qui veut faire valoir son nom et, avec, son talent. Certes, l’hérédité et l’ascendance ne sauraient tout expliquer, mais force est de reconnaître que l’oubli dont a longtemps souffert Jean Raoux a nécessairement partie liée avec son inconfortable pedigree. Et, comme souvent, la mémoire des berceaux semble plus fiable que celle des suiveurs. Pour preuve, Montpellier célèbre aujourd’hui l’œuvre de l’un de ses plus grands artistes natals afin que nul mot d’excuse ne puisse désormais justifier cette étrange amnésie collective.
La vie de Jean Raoux n’est pas édifiante. Elle n’est pas non plus marginale, encore moins extravagante. Elle est même parfaitement rectiligne, tant l’artiste a gravi, l’une après l’autre, les marches de la consécration avec l’empressement d’un premier de la classe, sinon d’un très bon élève. Non, la grande vie de Raoux, bien qu’elle paraisse étourdissante, n’est pas extraordinaire. Seulement, les années qui viennent de voir s’éteindre un Roi-Soleil puis s’ouvrir une Régence ombrageuse sont, elles, exceptionnelles. Mondain, adroit, presque indolent, Raoux traverse le monde en glissant, faisant de sa vie un slalom allègre parmi les plaisirs et les honneurs. Seulement, ce monde se joue sur les cimes, là où les astres sont brûlants et les neiges éternelles. Un monde où le Monde se fait, là où les absents ont toujours tort.
Venir au Monde
Jean Raoux est bien né. Cela peut toujours aider, dans cet univers où l’héritage et l’apanage valent inévitablement pour identité. Du reste, cela aidera. Son père Honoré Raoux est officier de la Monnaie et encourage son fils vers une carrière dont l’aisance familiale palliera les éventuelles déconvenues. Aussi, le jeune artiste entre en 1693, à l’âge de seize ans, dans l’atelier montpelliérain d’Antoine Ranc pour y apprendre la leçon du Grand Siècle : Poussin, Le Brun, Mignard et surtout Bourdon, dont sa première toile connue trahit l’influence évidente (Moïse et les eaux de Mara, 1699).
Obsédé par les épicentres magnétiques, Raoux rejoint en 1703 Paris et un second atelier, celui – incontournable – du peintre éclectique Bon Boullogne. Là, le Héraultais découvre cette peinture, plus légère et plus intime, plus aérienne et plus raffinée, qui vient de supplanter les grandes machines mythologiques et héroïques longtemps plébiscitées. Et si les Flandres et la Hollande sont les patries esthétiques de cette nouvelle manière, le grand prix de l’Académie (David qui tue Goliath) enjoint à son auteur de gagner Rome en 1704. Raoux, lui, file droit, tout droit.
Courir le Monde
Quoique protégé par le Grand Prieur de Vendôme, puis par le cardinal de La Trémoille, Raoux doit abréger son séjour dans la Ville éternelle en raison des conflits qui, secouant l’échiquier européen, le désignent comme ennemi de la cité, lui, ce jeune homme affable que le portrait angélique, gravé par Michel Aubert d’après Antoine Pesne, aurait presque suffi à disculper (Portrait de Jean Raoux).
Qu’importe, puisque l’exil douloureux a tôt fait de se transformer en expédition italienne. À Bologne, Venise ou Parme, Raoux et ses compagnons d’infortune prennent la mesure de ces langages vernaculaires qui, mâtinant la peinture d’accents locaux, adoptent peu à peu un même langage flamboyant, volontiers rococo. Mais Sebastiano Ricci et le Corrège ne parviennent à éclipser la révélation de Véronèse, ainsi qu’en témoignent les ambitieuses compositions que le Montpelliérain réalise alors pour le palais Giustinian-Lolin de la Sérénissime ou pour la cathédrale de Padoue (Repos pendant la fuite en Égypte, 1710-1713).
Consciencieux et astucieux, Raoux observe, assimile, digère. Paris l’attend. Il le sait, et il le lui rendra.
Refaire le Monde
À peine rentré à Paris, le peintre met en œuvre ses desseins et annonce la couleur. Son Pygmalion amoureux de la statue (1717) fait office de sésame illusionniste pour son entrée solennelle à l’Académie, le même jour qu’un jeune prince galant, Antoine Watteau. Conjuguant des figures véronésiennes à une structuration nordique, Raoux en vient à trouver sa formule, syncrétique et originale, plurielle et singulière comme le confirme son chef-d’œuvre Bethsabée au bain (1719).
À l’image de l’artiste, l’homme sait méditer ses affinités électives. Ainsi installe-t-il ses quartiers au Temple, pensionné par le Grand Prieur Philippe de Vendôme, dont il retrouve enfin la protection et le goût scandaleux pour la débauche. Acteurs de la Régence ou des théâtres parisiens, maîtres du monde ou à penser, Saint-Simon ou Voltaire, Antoine Coypel ou Nicolas de Largillière : le bottin mondain défile dans cette antichambre du pouvoir puis, souvent, devant le chevalet de Raoux, portraitiste d’une voluptueuse société du spectacle (Portrait de Mlle Prévost en bacchante dans Philomène, 1723).
Ici une musique enjôleuse, là une pastorale féerique, ici une allégorie, là une vestale. Dans ce monde saturé de symboles et de poésies, d’urbanités et de licences, Raoux excelle à être ici et là, partout. Un jour à Londres, le lendemain à Montpellier, le matin dans un palais, l’après-midi dans un salon. Le soir dans cette chambre qui le verra mourir un jour d’hiver 1734. Son cœur ne battait plus, mais le Monde, lui, tournait encore.
1677
Naît à Montpellier.
1693
Élève d’Antoine Ranc à Montpellier.
1703
Entre dans le grand atelier de Bon Boullogne.
1704
Premier prix de l’Académie royale de peinture et de sculpture.
1705
Pendant neuf ans, importantes commandes à Rome, Florence, Padoue et Venise.
1717
Trois ans après son retour à Paris, il entre à l’Académie.
1723
Décors au château de la Mosson (Montpellier).
1725
Lance la mode des portraits déguisés.
1734
Décède à Paris dans l’indifférence.
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Jean Raoux - La frivolité et l’élégance à l’époque Régence
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°621 du 1 février 2010, avec le titre suivant : Jean Raoux - La frivolité et l’élégance à l’époque Régence