Jean Le Moal ou la nature transfigurée

CHÂTILLON - « C’était un homme discret et volontaire. Il a connu des drames, mais la peinture lui a permis de tout surmonter. Elle a été comme une arme de salut », confie la fille de Jean Le Moal, Anne Le Moal. Né en 1909 à Authon-du-Perche (Eure-et-Loir) et décédé en 2007, l’artiste a fait partie de ce que l’on appelle communément la seconde école de Paris, avec notamment Alfred Manessier et Jean Bazaine. Passé par les Beaux-Arts de Lyon, il expose avec eux dès 1936 au sein du groupe Témoignage. Il est aussi de la partie en 1941 lors de l’exposition « Vingt jeunes peintres de tradition française ». En 1943, il récidive à la Galerie de France avec « Douze peintres d’aujourd’hui ». Mais ce n’est qu’à la fin des années 1940 qu’il franchit le pas de la non-figuration. Tout comme les membres de cette seconde école de Paris, il eut ses heures de gloire, mais « à partir des années 1970, ils ont été anéantis de l’espace médiatique de la peinture »,  souligne Anne Le Moal. Et depuis lors, ils ne sont jamais vraiment sortis de l’ombre dans laquelle l’histoire les a plongés.

Le travail de Le Moal, qui n’a connu qu’une seule rétrospective au Musée des beaux-arts de Vannes en 2000, reste mal connu. Aussi, est appréciable l’initiative de la Maison des arts de Châtillon qui s’est rapprochée de la famille Le Moal pour organiser une exposition. Les 39 pièces présentées sont toutes issues du fonds familial à l’exception d’une œuvre prêtée par Jean-Baptiste Manessier, fils du peintre. Pour l’essentiel, il s’agit de peintures à l’huile, bien qu’ici et là soient accrochées quelques gravures et lithographies. « On voulait notamment montrer des œuvres qui n’avaient jamais été montrées », explique la directrice du lieu et commissaire, Caroline Quaghebeur. Suivant un ordre chronologique, le parcours est clair mais aurait gagné à être accompagné de panneaux pédagogiques et de cartels plus étoffés. Après les toiles des années 1930 alternant influences cubiste et surréaliste, vient la période du passage à la non-figuration, au tournant des années 1940.

Une peinture éclatante et lyrique
Mais il faut attendre la troisième et quatrième salle pour percevoir toute la puissance lyrique de l’abstraction de Le Moal. Sur des formats qui se sont agrandis et qui s’échelonnent des années 1960 aux années 1980, les couleurs sont totalement libérées. Les puissances telluriques, l’eau, le ciel sont convoqués. Chaque surface s’anime d’une intense vibration colorée comme dans le vertigineux Chaos de 1969. La même intensité traverse les dix aquarelles réalisées à Alba-la-Romaine (Ardèche) où il avait un atelier, et présentées dans un petit cabinet, en guise de clôture.

À partir du 21 avril, la Médiathèque de Châtillon expose également des photographies de paysages en noir et blanc prises en Bretagne et dans l’Ardèche, mais aussi en Grèce, au Pérou… « C’est la première fois qu’on montre des photographies de mon père, souligne Anne Le Moal. Ce sont comme des carnets de dessin. Dans les années 1960, il avait acheté un Rolleiflex avec lequel il ne photographiait que des paysages. À partir de ce moment, la photographie a eu tendance à prendre la place du dessin. » Ce pan inconnu du travail de l’artiste offrira un éclairage inattendu sur son talent à exalter le silence mystérieux de la nature.