BRUXELLES / BELGIQUE
Auteur de chefs-d’œuvre parfois déroutants, Bernard van Orley ne se laisse pas aisément appréhender. Bozar consacre une rétrospective bienvenue à cet artiste très connu en son temps.
Bruxelles. Au XIXe siècle, Bernard van Orley (vers 1488-1541) était considéré comme l’une des gloires de l’art national belge. Durant les deux siècles suivants, le Bruxellois a rétrogradé dans le clan des artistes aimés des historiens de l’art mais inconnus du grand public. Pourquoi cette méconnaissance d’une figure capitale de la Renaissance du Nord ? Peut-être parce que l’art de van Orley n’est pas des plus faciles à appréhender… et à aimer. Il suffit de parcourir les allées de l’exposition que lui consacre le Palais des beaux-arts de Bruxelles (Bozar) pour s’en rendre compte. Le corpus d’œuvres de van Orley et de son important atelier (dont le parcours présente une centaine de numéros) comporte « des compositions qui apparaissent compliquées aux yeux de l’homme du XXIe siècle », résument dans le catalogue les commissaires Véronique Bücken, conservatrice de peinture ancienne aux Musées royaux des beaux-arts de Belgique, et Ingrid De Meûter, conservatrice des tapisseries et des textiles aux Musées royaux d’art et d’histoire.
Particulièrement érudit, van Orley manie en effet volontiers des iconographies rares, parfois difficiles à lire, au sein de ses peintures religieuses. Le style de cet artiste de transition peut en outre apparaître comme manquant d’homogénéité tant s’y conjuguent diverses influences, de l’héritage des primitifs flamands aux apports des contemporains anversois, italiens, ou allemands – on sait qu’il a rencontré Dürer et on a longtemps cru, à tort, qu’il avait été l’élève de Raphaël. Et sa patte n’est pas exempte de maladresses, ses figures paraissant souvent plus contorsionnées qu’en mouvement au sein d’environnements surchargés. Ainsi, le bouillonnant Polyptyque de Job et de Lazare– une des œuvres fondamentales de l’artiste qui l’a d’ailleurs signée cinq fois ! – est un chef-d’œuvre non dénué d’ambiguïtés. S’il témoigne d’une certaine virtuosité dans sa perspective architecturale, sa tension dramatique et la subtilité de ses coloris, l’articulation étrange des corps entre eux dénote une faiblesse.
Le Triptyque Haneton (du nom de sa famille de commanditaires) [voir ill.] est plus étonnant encore. Car cette œuvre phare du parcours, datée du début des années 1520, est la fois très archaïque, par son fond d’or et sa composition générale, et très moderne pour l’époque, grâce à la force de son expressivité, au torse musculeux du Christ qui doit beaucoup à Pérugin et au cadrage très resserré (presque trop pour ne pas être inquiétant) de sa mise au tombeau centrale. Avec ses erreurs manifestes dans les proportions (notamment dans le bras de la Vierge), l’œuvre apparaît à l’œil aussi maîtrisée que maladroite. « Le style [de van Orley] semble étrange et dérange, plus qu’il ne séduit », relèvent les commissaires.
Les portraits sont certes plus accessibles au visiteur que ses compositions religieuses. Mais même s’il s’agit du pan le plus connu de l’œuvre de l’artiste (qui fut aussi le portraitiste officiel de la cour de Marguerite d’Autriche), ce n’est pas toujours là où il se montre le plus talentueux. Ces figures à mi-corps ne possèdent pas l’intensité de celles de son contemporain Jan Gossaert. C’est finalement pour ses tapisseries profanes de batailles et de chasses, expressives, dramatiques, déclamatoires et fourmillantes de détails que Bernard van Orley se laisse aujourd’hui le plus facilement saisir. À l’époque, cet art d’apparat que l’artiste pratiquait avec ardeur n’avait rien de mineur, et l’avait consacré comme un des plus grands maîtres de son temps.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°521 du 12 avril 2019, avec le titre suivant : Insaisissable Van Orley