PARIS
Le créateur de Tintin entre au Grand Palais pour une exposition didactique et riche en documents exceptionnels, mais le parcours qui déroule sa vie à rebours laisse perplexe.
PARIS - Accueillir Hergé au Grand Palais est tout un symbole, la bande dessinée ayant encore du chemin à faire avant d’être reconnue comme un art à part entière. Certes Hugo Pratt, père de Corto Maltese, avait déjà été célébré en ces lieux dès 1986, mais en 2006, Hergé, exposé au Centre Pompidou, avait été cantonné dans le forum n’ayant pu accéder aux salles d’exposition. Rappelons que les collections des musées de beaux-arts ne comprennent quasiment aucune planche de bande dessinée. Organisée avec le Musée Hergé de Louvain-la-Neuve (Belgique), l’exposition monographique d’Hergé au Grand Palais propose de dévoiler les multiples facettes de son œuvre et d’entrer dans la fabrique de son art, à travers le plus grand ensemble d’œuvres jamais montré.
Sa vie « rembobinée »
Presque intégralement issu du Musée Hergé, le corpus met remarquablement en avant la modernité du créateur, il dévoile des pièces inédites (planches originales, mais aussi crayonnés, bleus de coloriage, projets de couverture…) et prend soin de s’attarder sur chacun des vingt-quatre albums de Tintin. Mais le parti pris de commencer l’histoire par la fin, soit de dérouler le parcours du créateur à l’envers, est assez déroutant. Pourquoi débuter par son dernier album inachevé, Tintin et l’Alph’art et par ses expérimentations picturales pour finir par sa période boy-scout et l’évocation de ses maîtres, de Benjamin Rabier à George MacManus ?
Les premières salles saluent ainsi l’amateur d’art – Hergé a commencé à collectionner dès 1960 des œuvres de Lucio Fontana, Jean-Pierre Raynaud où Warhol – et dévoilent ses propres toiles, inspirées par Miro, Klee ou Poliakoff. Montrer Hergé amateur d’art et peintre abstrait est passionnant, mais l’on s’interroge : fallait-il éclairer son œuvre entière à l’aune des arts plastiques dès l’incipit pour justifier sa présence au Grand Palais ?
Une narration cinématographique
Dans la salle suivante, ses techniques de narration sont disséquées : découpage, mise en scène et représentation, affinés au fur et à mesure des albums. Dans une veine pédagogique soignée, les vitrines et leurs cartels permettent d’entrer de plain-pied dans le processus de création d’Hergé. C’est encore l’occasion de s’attarder sur son souci de réalisme et sur l’une de ses aventures les plus folles, celle d’envoyer son héros sur la lune, alors que l’homme n’y a pas encore posé le pied. En témoigne la maquette de fusée « commandée en 1954 à un ingénieur pour voir jusqu’à la façon dont ses occupants dormaient », précise le commissaire, Jérôme Neutres. Dans cet espace encore, un formidable extrait télévisé dans lequel Hergé et Yves Robert expliquent l’art de la bande dessinée, en relation avec le langage cinématographique, au jeune Michel Drucker. Le parcours sinueux s’attarde ensuite sur la période de la guerre, marquée à la fois par les compromissions d’Hergé et son succès, sa maturité graphique et son expérimentation de la couleur, dont les bleus de coloriage à l’aquarelle de Tintin et l’Étoile mystérieuse offrent un aperçu de son talent. Propulsé ensuite dans une salle étrange, où trône la maquette de Moulinsart sur fond de pépiements d’oiseaux, le visiteur peut passer à l’observation des planches crayonnées à leur impression finale. C’est l’occasion de constater la maîtrise de l’art du portrait du créateur et de découvrir ses multiples recherches – « à en trouer la feuille » indique Hergé – avant d’aboutir au trait si caractéristique de la ligne claire.
L’épure de la ligne claire
Passée la création de Jo, Zette et Jocko, l’exposition s’attarde sur les talents de graphiste et de publicitaire d’Hergé, au début de sa carrière. L’épisode est tout sauf anecdotique, car c’est aussi dans cette discipline, où résonne l’esthétique du Bauhaus, que s’est forgé l’art d’Hergé, tant celui de la couleur que celui du lettrage ou de la mise en page. Ce n’est que dans les dernières salles qu’est contée la rencontre fondamentale d’Hergé avec Tchang dans les années 1930, qui l’ouvrit sur la dimension humaine de ses personnages, la nécessité de la documentation et le flux du pinceau chinois. « Sans Tchang et son art des flux, la ligne claire eut pu devenir une ligne trop dure, une ligne d’acier », précise sur un panneau le critique Pierre Sterckx (décédé en 2015). Fallait-il encore attendre la fin du parcours pour évoquer l’art de l’épure qu’est la ligne claire ou la vibration du blanc dans la page ? Outre ce parcours qui laisse perplexe, rares sont les procédés d’exposition adaptés aux enfants venus retrouver leur héros. « Nous avons voulu une scénographie ludique », promettait le commissaire lors de la visite. Pourtant, hormis quelques maquettes, agrandissements de cases à échelle humaine ou encore un mur destiné aux « selfies », la scénographie exclut les plus jeunes. Dommage, car l’une des forces de l’œuvre d’Hergé est précisément de savoir s’adresser aussi bien au public de 77 ans qu’à celui de 7 ans.
Commissariat : Jérôme Neutres, directeur de la stratégie et du développement à la RMN-Grand Palais et Sophie Tchang, conservatrice au Musée Hergé
Nombre d’œuvres : plus de 200
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Hergé, sens dessus dessous
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Abonnez-vous dès 1 €jusqu’au 15 janvier, Grand Palais, galeries nationales, 3 Avenue du Général Eisenhower, 75008 Paris, www.grandpalais.fr, tous les jours sauf mardi 10h-20h, mercredi jusqu’à 22h, entrée 13 €. Catalogue coédition Réunion des musées nationaux-Grand Palais/Moulinsart, 304 p., 35 €.
Légende Photo :
Vue de l’exposition « Hergé », Grand Palais. © Hergé/Moulinsart. Photo : RMN/Didier Plowy.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°465 du 14 octobre 2016, avec le titre suivant : Hergé, sens dessus dessous