L’auteur belge a représenté 40 % des résultats d’une session contrastée où Christie’s s’est largement démarquée de Sotheby’s, Artcurial ou Piasa
PARIS - Ce printemps voyait pour la première fois s’affronter en mai les trois piliers du marché de la bande dessinée, le défricheur Artcurial et les nouveaux venus depuis 2014, Christie’s et Sotheby’s. Pour cette spécialité, les deux maisons anglo-saxonnes ont noué des partenariats avec des galeristes, et l’alliance de Christie’s avec Daniel Maghen s’est révélée payante cette saison. La société de François Pinault a largement devancé ses consœurs avec un produit global de 3,7 millions d’euros, bien au-delà de ses attentes, quand Sotheby’s manquait son estimation avec un résultat de 1,3 million et un faible taux de vente, de 57 %, et qu’Artcurial atteignait 2,8 millions d’euros avec deux sessions. Comment expliquer ces résultats inégaux ? Au-delà de l’important réseau de collectionneurs de Daniel Maghen, Lucas Hureau, directeur de la société créée par Michel-Édouard Leclerc, « MEL Compagnie des Arts », pointe un calendrier surchargé. « Il y a trop de ventes au même moment. Avec une date plus isolée, Sotheby’s aurait sans doute mieux vendu, la sélection étant très belle et très diversifiée, explique cet ancien expert chez Artcurial. Il n’y a aucun intérêt à grouper ces ventes qui ne sont connectées à aucun événement culturel parisien susceptible de regrouper tous les amateurs au même moment. Étalées sur trois semaines, elles ne permettent pas non plus aux collectionneurs étrangers de rester pour y assister. »
Tintinophilie sans limite
Autre constat de ce printemps, Hergé continue de régner sur les enchères de BD, en s’attribuant plus de 40 % du produit global des ventes. Chez Artcurial, le maître de la ligne claire représente près de 60 % (1,6 million d’euros) du résultat global. Une session entière lui était réservée : une partie des lots étaient mis à l’encan par le chanteur Renaud, qui avait choisi de s’en séparer dans un opportun timing, en même temps que la sortie de son dernier album. Clou de l’ensemble, sa double planche de fin du Sceptre d’Ottokar a attiré les enchérisseurs jusqu’à 1 million d’euros (estimation 600 000-800 000 euros). C’est la troisième planche de cet album à passer en vente au cours des six derniers mois : l’une a été cédée chez Sotheby’s pour 1,6 million d’euros, l’autre chez Tajan à son prix de réserve, 800 000 euros. Les planches de cet album n’ayant pas été rendues à l’imprimeur, elles avaient été dispersées il y a une trentaine d’années. Chez Christie’s, 35 % du produit de la vente a été réalisé grâce à Hergé. Ce n’est pas la planche issue de Coke en stock, cédée 289 500 euros, qui a le plus attisé les enchères, mais une illustration pour l’Exposition universelle de Montréal de 1967. Juxtaposant les personnages phares de la saga, elle a été cédée 601 500 euros, le double de son estimation basse. Plus étonnant encore, une illustration du studio d’Hergé, et non de l’artiste, pour la réalisation d’un autocollant, a atteint 61 500 euros, soit plus de douze fois son estimation basse. La tintinophilie n’a-t-elle parfois plus de limites ? « Une grande partie des ventes se joue sur le seul nom d’Hergé. C’est un marché étrange où les résultats obtenus ne correspondent pas toujours, tant s’en faut, à l’importance historique de l’œuvre vendue. Il y a, comme souvent sur ce marché très spécifique de la bande dessinée, beaucoup d’affects et de souvenirs qui entrent en ligne de compte, seuls capables d’expliquer de tels écarts dans les prix », indique Lucas Hureau, qui note une « part de fétichisme » dans le marché. Piasa renouvelait pour la cinquième année son partenariat avec Moulinsart SA, proposant une vente modeste, composée en majorité de produits dérivés et albums. Si la maison remportait de beaux succès lors de ses premières ventes, le public s’en est lassé. Seuls 28 % des lots ont trouvé preneur, et à peine plus de 10 % des 81 albums. « Le marché des albums et produits dérivés s’est fortement rétracté car la demande s’est beaucoup réduite. Le marché s’est déplacé sur les originaux. Chez Christie’s également, de splendides albums se sont vendus à des prix très inférieurs à ce qu’ils auraient fait il y a quelques années », explique Lucas Hureau, qui conseille : « C’est donc une très bonne période pour acheter des albums, cela reste la base de l’art de la BD. »
Nulle trace de Tintin dans la vente Sotheby’s, mais une planche d’Edgar P. Jacobs du Piège diabolique, cédée 105 000 euros, soit deux fois moins que celle de Christie’s issue du Mystère de la Grande Pyramide [albums de la série « Blake et Mortimer »]. Aucun des sept lots signés Franquin n’a trouvé acquéreur. Le volet américain de la session, spécificité de la maison, a couronné Charles Schulz pour une planche des « Peanuts » de 1981 (72 500 euros) ou le pionnier Winsor McCay pour une planche de Little Nemo in Slumberland (67 500 euros). À noter dans la vente généraliste Artcurial, un beau succès pour un ensemble de Reiser, à rebours du politiquement correct actuel.
Toutes les estimations sont indiquées hors frais acheteur tandis que les résultats sont indiqués frais compris.
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Hergé, cet éternel héros
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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°459 du 10 juin 2016, avec le titre suivant : Hergé, cet éternel héros