PARIS
Frère de Charles Cros, cet artiste peu connu est à découvrir à travers ses nombreux dessins et sculptures au Musée des arts décoratifs.
Paris. « Il a passé, inconnu. » Dans un texte introductif au catalogue, Amélie Simier, directrice du Musée Rodin, rapporte ces quelques mots sur Henry Cros (1840-1907) écrits après sa mort par Auguste Rodin. Inconnu, Cros l’est toujours, sauf « dans un petit milieu d’amateurs très pointus du XIXe siècle », constate Jean-Luc Olivié, commissaire de l’exposition. « S’il n’a pas été totalement oublié après sa mort, précise-t-il, la principale raison en est qu’il est l’inventeur de la sculpture en verre. »
En relation avec le Salon du dessin 2024, c’est plutôt à ce médium qu’est en grande partie consacré le parcours, le Musée des arts décoratifs étant détenteur d’un fonds de dessins important. Cette première rétrospective depuis 1922, d’une centaine d’œuvres, permet aussi de redécouvrir le sculpteur, peu représenté dans les musées français.
Frère de Charles Cros, inventeur de la photographie en couleurs et des principes théoriques du phonographe, Henry était lui aussi un découvreur. Il s’intéressait à l’Antiquité et à ses techniques oubliées. Les portraits coptes étaient peints à l’encaustique : Henry Cros s’en inspira, étudiant les textes anciens et pratiquant « ce qu’on appelle aujourd’hui l’archéologie expérimentale », s’amuse le commissaire. Un dessin reproduisant un portrait du Fayoum atteste de cet intérêt.
Mais Henry Cros va plus loin : cette possibilité d’intégrer des pigments à de la cire le pousse vers la sculpture en couleurs. Il réalise ainsi un grand nombre de portraits miniatures en bas-relief au cours de sa carrière. En 1869, Alexandre Dumas fils lui demande une copie de la Tête Wicar en cire du Musée de Lille. Cette commande, relatée par les journaux, le rend célèbre et, même si l’œuvre n’est pas localisée aujourd’hui, on sait qu’il maîtrise parfaitement la technique de la ronde-bosse de cire à cette date. Un peu plus tard, il réalise des hauts-reliefs ou rondes-bosses se rapportant à un Moyen Âge qui se situe dans la lignée des préraphaélites britanniques. Deux œuvres de cette veine témoignent d’une maîtrise remarquable. La Promenade (1874), réapparue en 2012, représente deux femmes pensives sur un fond parsemé de fleurs évoquant un jardin. La Belle au bois dormant (1878), une ronde-bosse inédite, montre une lectrice du conte plutôt que son héroïne : la jeune femme, rêveuse ou endormie, est couchée sur le côté près d’un livre fermé.
Pour la première fois présentée au public dans ses locaux actuels par le Musée des arts décoratifs, La Muse Uranie (1882) est une peinture sur bois à l’encaustique plus grande que nature commandée par l’État. Outre sa technique très particulière, cette œuvre présente, selon Jean-Luc Olivié, « un archétype féminin très éloigné de la délicatesse de ses figurines en cire et qui le positionne dans un néoclassicisme très original qui anticipe le néoclassicisme moderne qu’Aristide Maillol inaugurera avec sa statue “La Méditerranée” ». Au Salon de 1882, Cros présente Gitane des Pyrénées, un buste de terre cuite modelée colorée aux engobes. Cette tête d’expression au modelé simplifié annonce les verres qui occuperont ensuite le sculpteur.
À la fin des années 1880, il parvient à mettre au point le moulage de poudres de verre colorées. Doté par l’État d’un atelier à la manufacture de Sèvres, il produit plusieurs masques dont Masque de femme (vers 1898), des reliefs tel Galatée (vers 1900) et un seul exemplaire connu de Vase à sujet pastoral (vers 1895-1900, voir ill.), exposé pour la première fois auprès d’une fonte en bronze réalisée après le décès de l’artiste. Les visiteurs peuvent aussi voir le grand bas-relief L’Histoire du feu (vers 1900) dans les salles du musée.
À sa mort, Cros travaillait à une cheminée de verre, L’Espérance de la belle saison, pour le prince de Wagram. L’un des dessins préparatoires est présenté à l’exposition, mais on ignore s’il subsiste des éléments de cette cheminée. « Il y a encore beaucoup à découvrir sur Henry Cros », résume le commissaire qui, dans un premier temps, livre une importante étude dans le catalogue de l’exposition.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°630 du 29 mars 2024, avec le titre suivant : Henry Cros, du papier à l’invention de la pâte de verre