PARIS
Autour de l’œuvre du sculpteur danois et de ses contemporains, le Musée Bourdelle explore les thématiques symbolistes liées à la femme, au monstre et à l’au-delà.
Selon le texte d’introduction à l’exposition, le visiteur est invité à une « plongée onirique dans l’univers du sculpteur et céramiste danois ». La précision est importante, car il ne s’agit pas d’une présentation monographique de l’artiste Niels Hansen Jacobsen (1861-1941). Une grande partie de l’œuvre de ce symboliste, qui a vécu à Paris de 1892 à 1902, est académique et souvent démonstrative. Il en est ainsi pour Un joueur de boules observant son jeu (1891, montrée au Salon des artistes français en 1892), Une étoile inconnue (1893, présentée au Salon de la Société nationale des beaux-arts [SNBA] en 1898), ou L’Aube (1895, exposée à la SNBA la même année). Ces œuvres, conservées aujourd’hui au Vejen Kunstmuseum qu’il a fondé au Jutland, n’ont pas fait le voyage à Paris, non plus que Militarisme (1898-1899, SNBA 1899), conjuguant lourdement expressionnisme et précubisme.
Au Musée Bourdelle ont été rassemblés essentiellement des grès émaillés autour de quatre sculptures de grand format : La Petite Sirène, charmant plâtre Art nouveau de 1901 ; Troll qui flaire la chair de chrétiens (1896) et L’Ombre (1897), des bronzes à la présence magnétique et sauvage ; et La Mort et la Mère (1892), un groupe dans la lignée de l’art funéraire de l’époque. C’est précisément près du cimetière du Montparnasse que logeait le couple Hansen Jacobsen, dans cette cité Arago (devenue aujourd’hui la Cité fleurie) où de nombreux artistes avaient leur atelier : Eugène Grasset (1845-1917), par exemple, qui l’introduisit auprès de Rodin, Jean Carriès (1855-1894) dont il s’est beaucoup inspiré, et le collectionneur de céramique japonaise Paul Jeanneney (1861-1920). Les Hansen Jacobsen furent eux-mêmes suivis à Montparnasse par d’autres artistes scandinaves.
Au-delà de ce phalanstère, les commissaires de l’exposition – Teresa Nielsen, directrice du Vejen Kunstmuseum, Amélie Simier, directrice du Musée Bourdelle, et Jérôme Godeau – ont voulu rendre l’atmosphère particulière qui entoure une partie de l’art symboliste, baignée de spiritisme, de fascination pour la nature primordiale et de légendes. Ceci explique que d’autres artistes soient largement représentés (sur 181 numéros, seulement 67 sont d’Hansen Jacobsen) et qu’une place importante soit donnée au grès, matériau que le Danois a découvert à Paris et dont il maîtrisait toutes les étapes de fabrication. Difficile à travailler, celui-ci lui a permis d’expérimenter à la fois une certaine brutalité (le grès ne rend pas les détails) et l’incertitude de la forme, propice à l’imagination. C’est grâce à cet art du feu qu’Hansen Jacobsen a pu se rapprocher du cubisme et de l’abstraction et qu’il s’est laissé aller à une inspiration aquatique ou monstrueuse. Très sensible à l’interprétation psychanalytique du travail des symbolistes (notamment autour de la femme), Jérôme Godeau a construit une exposition dans laquelle le visiteur se laisse mener avec délectation, comme dans l’un de ces contes d’ondines, de sorcières et d’ogres où la séduction côtoie l’horreur.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°539 du 14 février 2020, avec le titre suivant : Hansen jacobsen, la part « imageante »