Pour avoir laissé sa collection et son nom au musée d’Aix-en-Provence, François-Marius Granet n’aurait pu devenir qu’un simple patronyme. Il n’en est rien, ainsi que le prouve une véritable vie d’artiste à la charnière des xviiie et xixe siècles...
Du musée Pouchkine de Moscou au Metropolitan de New York, le nom de François-Marius Granet (1775-1849) a investi les cartels des plus grands musées du monde. Peut-être est-ce là une façon élégante de rappeler que l’artiste est encore méconnu dans une France satisfaite au seul souvenir d’un legs de deux mille œuvres consenti par ce généreux bienfaiteur au musée éponyme d’Aix-en-Provence.
Une exposition ambitieuse vient toutefois réévaluer l’ampleur de la succession aixoise : et si la peinture de Granet était à la mesure de sa magnanimité ? Et si la montagne Sainte-Victoire avait attisé d’autres pinceaux décisifs ? Des hypothèses séduisantes que la ville d’Aix-en-Provence, déjà pourvoyeuse de Cézanne, se plaît à envisager…
Trois zones géographiques résument les débuts de Granet : sa ville natale, Port-la-Montagne (Toulon) et la capitale hexagonale. Trois pôles qui, en somme, dessinent les points cardinaux d’une boussole invariablement magnétisée par les épicentres. Trois points qui, de suspension, laissent présumer l’histoire à venir.
« La liberté ou la mort » !
L’histoire commence le 17 décembre 1775 à Aix-en-Provence. Seul garçon survivant d’une fratrie de sept membres, François-Marius appartient au Peuple, majuscule et anonyme. Aussi peut-on deviner les réticences d’un père maître maçon à voir son roturier de fils fréquenter, à l’école municipale de dessin, un jeune Auguste de Forbin. Car en ces temps révolutionnaires et volontiers claniques, mieux vaut ne pas revendiquer un ami qui, n’étant pas encore un protagoniste majeur de l’histoire
de l’art, affiche une particule suspecte.
Qu’importe, puisque la ferveur jacobine exalte bientôt Granet qui peint en 1793 dans la séditieuse Toulon de remarquables aquarelles et quelques devises frondeuses – « La liberté ou la mort » – sur les bateaux arrimés au port. 1796. Le temps passe et l’artiste, intrépide, envisage un nouveau siège, plus complexe : celui de Paris.
Paris, Rome : les années fastes
Tout juste orphelin, Granet prend d’assaut le Louvre, ses maîtres et son maître des lieux en la personne de David. Mais le classicisme mythologique n’est pas du goût d’un jeune « Moine » versé dans un romantisme qui, ainsi que l’atteste son célèbre Cloître des Feuillants (1799), regarde plus vers Ingres et les Nazaréens installés en Italie. Dont acte, en 1802, avec un aller simple pour la Ville éternelle où vingt-deux années suffiront à exalter une sensibilité latente…
Granet n’est pas homme à emprunter les sentiers battus. Sa Rome est une ville de marges, de cryptes et de voûtes, comme en témoigne son Chœur des Capucins dont l’immédiate célébrité l’incite à réaliser différentes versions essaimées entre 1813 et 1826. Obsédé par les scènes mélancoliques et par les ciels tumultueux, l’Aixois excède l’archéologie néoclassique pour un védutisme romantique digne d’un Chateaubriand auquel semble faire allusion le sublime portrait qu’Ingres réalise de son ami en 1809.
Avec Forbin ou d’autres cicérones, Granet pénètre le cosmopolitisme romain sans jamais renier sa propension franciscaine à la solitude. Tivoli et Naples n’ont plus de mystère pour ce désormais collectionneur de Bassano et de Géricault devenu un expert courtisé par le général Miollis et le cardinal Fesch avant qu’il ne soit adoubé peintre de la reine de Naples en 1812.
« Papa Granet »
Le talent et la reconnaissance ne vont pas sans obligations. Quinquagénaire, le peintre, auquel Navez et Léopold Robert reconnaissent sardoniquement une paternité en le désignant « Papa Granet », doit regagner en 1824 Paris, ville des hommages et des médailles. Conservateur au musée du Louvre en 1825 puis, huit ans plus tard, au château de Versailles, officier de la Légion d’honneur (1833), Granet a beau accumuler les honneurs, il semble se survivre à lui-même.
Quand sa peinture fonctionne en redondances académiques, le peintre tente bien de maintenir l’illusion en sondant le passé. Ainsi son mariage en 1843 avec Nena di Pietro, rencontrée quarante ans auparavant à Rome. Ainsi la rédaction de ses incontournables Mémoires, initiée deux avant sa mort. Ainsi ce séjour à Aix en 1848 où il revient tacitement pour mourir. L’alpha et l’oméga. La naissance et la mort. Aujourd’hui, l’exposition sise dans son mausolée assure à Granet l’essentiel : la résurrection
1775
Naissance à Aix-en-Provence.
1796
S’installe à Paris. Il devient l’élève de David.
1802
Début du séjour à Rome.
1824
Retour à Paris.
1826
Devient conservateur au musée du Louvre.
1833
Conservateur au château de Versailles.
1837
Inauguration de la galerie des Batailles, musée d’histoire créé par Granet au château de Versailles.
1849
Meurt à Aix-en-Provence. Don de sa collection au musée d’Aix-en-Provence.
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Granet
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°606 du 1 octobre 2008, avec le titre suivant : Granet