Clôturant l’année du bicentenaire de la création de « Frankenstein », le Musée Rath rassemble des œuvres jugées gothiques dans une exposition un peu fourre-tout.
GENÈVE - En 2016, Genève commémore le bicentenaire de « l’année sans été ». En 1816, les effets d’une éruption volcanique qui avait eu lieu l’année précédente en Indonésie furent spectaculaires : le temps rendu exécrable par la cendre en suspension dans l’atmosphère anéantit les récoltes, provoquant la famine. Mais il y eut une autre conséquence : le poète britannique Lord Byron, son médecin personnel et secrétaire John Polidori, sa maîtresse Claire Clairmont, Mary Godwin et Percy Shelley, venus en villégiature sur le lac Léman, durent vivre enfermés à l’abri des intempéries. Pour occuper ses compagnons d’infortune, Byron imagina un concours d’écriture sur le thème des fantômes, alors à la mode. Lui-même venait de composer le poème Darkness et il rédigea l’ébauche d’un texte repris plus tard par Polidori sous le titre The Vampyre. Quant à la jeune Mary Godwin (elle avait tout juste 19 ans), future Mary Shelley, elle écrivit la première version de Frankenstein ou le Prométhée moderne.
Une démonstration trop dense
Diverses manifestations ont rappelé cet événement cette année, avant que le Musée Rath ne conclut le cycle avec une grande exposition, « Le Retour des ténèbres, l’imaginaire gothique depuis Frankenstein ». On voit bien l’écueil : le passage du thème déjà riche de Frankenstein et le vampire à celui, encore plus important, du gothique semble risqué. Mais, entraînés par leur enthousiasme, les commissaires en ont rajouté en choisissant d’évoquer également le séjour de Byron et de ses amis au Léman, les intempéries – de cette année-là et en général –, l’œuvre de Byron tout entier, etc. « Les musées d’art et d’histoire de Genève, indique leur directeur Jean-Yves Marin, ont un très vaste corpus de collections qui doit être mis à profit à chaque fois que c’est possible. » Les commissaires ont donc largement fait leur choix parmi les œuvres sur papier, les peintures, sculptures, installations et vidéos des collections genevoises, demandant aussi des prêts à d’autres institutions et à des collectionneurs privés et finalement infligeant une indigestion au public.
Accueilli à l’entrée par l’amusant Double Vampire 14 (2013) de Sterling Ruby, le visiteur passe d’abord devant une photo de 1926 représentant le volcan indonésien Tambora, cause de « l’année sans été ». La première partie de l’exposition, au rez-de-chaussée, est donc consacrée au groupe d’intellectuels piégés sur le Léman en 1816 par les caprices de la météo. Une œuvre interpelle cependant : Jumeaux, poupons de démonstration pour accouchement, cousus main (1997) de Christine Borland. « Elle évoque le côté monstrueux de la genèse du livre de Mary Shelley », explique Konstantin Sgouridis, artiste et co-commissaire de l’exposition, qui ne cache pas la fascination que lui-même et Justine Moeckli, l’autre commissaire, éprouvent pour « l’aspect série Z » du thème de Frankenstein et des vampires.
Confusion sémantique
La salle suivante aborde « la question du climat et des phénomènes naturels comme inspiration des artistes du XVIIIe siècle jusqu’à aujourd’hui », selon le dossier de presse. On peut y admirer Vue de l’Océan Glacial, pêche aux morses par des Groënlandais (1841) de François-Auguste Biard, ce qui laisse un peu perplexe. Plus loin, dans la salle qui « examine les origines du phénomène gothique », deux œuvres représentent Prométhée créant un homme, allusion directe au titre de l’œuvre de Mary Shelley et contresens frappant ; car il n’y a rien de « gothique » dans ce roman, mais une réflexion sur la toute-puissance du créateur et le libre arbitre de la créature.
Le même prisme de la série Z est appliqué au sous-sol, « consacré à l’imagerie et aux thèmes gothiques dans les arts visuels et la littérature de la fin du XIXe siècle jusqu’à nos jours ». Des estampes de Goya et Félix Bracquemond à Tyrannosaurus Rex/The Monster/ Tir Dragon (Study for King Kong) de Niki de Saint Phalle (1963), ce ne sont pas les œuvres qui sont en cause – elles sont en général de grande qualité –, mais la manière dont elles sont utilisées pour servir un propos dont elles sont pour la plupart très éloignées. Quant au catalogue, c’est une suite d’essais intéressants, mais n’éclairant pas l’exposition.
Commissaires : Justine Moeckli, assistante conservatrice, Musées d’art et d’histoire de Genève ; Konstantin Sgouridis, artiste.
Nombre d’œuvres : 264
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Frankenstein ou le retour du gothique
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 19 mars, Musée Rath, place Neuve, Genève (Suisse), tous les jours sauf lundi 11h-18h, le 2e mercredi du mois 11h-19 h, www.mah-geneve.ch, entrée 15 CHF (13,80 €), casque audio gratuit. Catalogue DoPe Press/Musées d’art et d’histoire de Genève, 55 CHF (50,80 €).
John Martin, The Last Man, 1833, aquarelle sur papier, 47,5 x 68 cm, Laing Art Gallery, Newcastle. © Photo : Laing Art Gallery, Tyne & Wear Archives & Museums.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°470 du 6 janvier 2017, avec le titre suivant : Frankenstein ou le retour du gothique