Fontainebleau - Château cherche son roi

Par Isabelle Manca · L'ŒIL

Le 18 avril 2013 - 1081 mots

Dépouillée de son mobilier mais épargnée par la Révolution, la « vraie demeure des rois », irréductible à un seul personnage ou à une seule période, doit trouver son identité forte auprès du grand public qui a le choix entre deux «Ier» François et Napoléon.

Demeure royale ayant connu l’une des plus longues périodes d’occupation de l’histoire de France, le château de Fontainebleau peut s’enorgueillir d’un patrimoine exceptionnel, comprenant de superbes décors de la Renaissance, de magnifiques espaces créés pour Marie-Antoinette, mais aussi l’étonnant Musée chinois de l’impératrice Eugénie. Visiter Fontainebleau, c’est donc découvrir un véritable condensé de l’histoire du goût, mais aussi le théâtre d’événements de premier ordre, tels que la révocation de l’édit de Nantes ou les adieux de Napoléon Ier à la Garde.

« La maison des siècles »
Si l’histoire du château débute en 1137, avec la construction d’une enceinte castrale par les Capétiens, l’édifice ne s’impose vraiment comme un lieu de pouvoir qu’à partir de la Renaissance ; lorsque François Ier, désireux de se rapprocher de Paris, délaisse les bords de Loire pour s’établir à Fontainebleau. Le monarque, amoureux des arts, décide d’importants travaux d’agrandissement et de décoration, confiés aux Italiens le Primatice et le Rosso, à qui une exposition est actuellement dédiée. Sous les pinceaux de ces maniéristes éclot alors la Renaissance française, la première école de Fontainebleau. Inspirés des thèmes mythologiques, leurs grands décors, associant fresques, stucs et boiseries, s’imposent comme un modèle incontournable pour des générations d’artistes. Cette politique d’extension et d’embellissement se poursuit jusqu’à la Révolution, où le château échappe au vandalisme, mais est vidé de son mobilier.
Sous l’Empire, le palais bellifontain accède à une « seconde Renaissance », quand Napoléon Ier choisit celle qu’il nomme la « vraie demeure des rois, la maison des siècles » comme résidence de campagne. L’empereur remeuble l’insigne maison avec son mobilier d’origine et la dote de nouvelles pièces somptueuses, exécutées par les meilleurs artistes de son temps. Après la chute de l’Aigle, Fontainebleau connaît une dernière période fastueuse, en devenant une des résidences de prédilection de Napoléon III et d’Eugénie.
Le couple impérial ordonne des campagnes de restauration et d’aménagement, de nombreuses salles ainsi qu’un prestigieux théâtre y sont alors créés. « Une des chances de Fontainebleau est que ses états historiques aient été préservés jusqu’en 1870, et très peu modifiés depuis. C’est donc cette époque qui, à l’exception de certaines salles restituées dans leur configuration Empire, a été retenue comme dernier état historique connu », précise Xavier Salmon, directeur du château.

Un mille-feuille historique
Mais la longue histoire du château et son caractère hétérogène présentent cependant un écueil ; contrairement à Versailles, qui évoque immédiatement Louis XIV, Fontainebleau, irréductible à un personnage, souffre auprès du public d’un déficit d’identité. Afin d’apporter une plus grande lisibilité au lieu, la nouvelle équipe de direction du château s’emploie ainsi à définir cette identité, entre autres par le biais de manifestations évoquant les principaux souverains ayant modelé le palais. « Nous ne devons pas nous écarter des fondamentaux du château. Pour que le public le connaisse et le comprenne, il faut qu’on lui explique ce qui en fait l’essence ; la richesse de ses collections, son importance artistique et ses figures tutélaires. Le message que nous souhaitons délivrer est : François Ier a inventé la Renaissance française à Fontainebleau, Henri IV y a été un grand roi bâtisseur et Napoléon y a vécu et abdiqué », résume Jean-François Hébert, président de l’établissement public du château de Fontainebleau et co-auteur du livre qui paraît ce mois-ci : Fontainebleau, mille ans d’histoire de France (Tallandier).
Finies, donc, les expositions dédiées à l’art contemporain, et place à ses grandes figures de proue. Trois pôles se dessinent ainsi clairement : la Renaissance, Napoléon Ier et le second Empire. La première manifestation de la saison 2013 célèbre ainsi un artiste emblématique du règne de François Ier, Rosso Fiorentino, un événement en soi, puisque la dernière grande exposition dédiée au peintre remonte à 1972.
« Cette manifestation prend tout son sens à Fontainebleau où l’on peut découvrir le chef-d’œuvre du Rosso, la galerie François Ier. Elle permet aux visiteurs de comprendre comment les choix de ce souverain et le génie du Rosso ont généré la naissance du maniérisme en France, et de quelle façon les décors de Fontainebleau sont devenus le fondement d’une grammaire, qui s’est diffusée à travers toute l’Europe », explique Vincent Droguet, conservateur au château et commissaire de l’exposition. Servie par de très beaux prêts – dessins, gravures, tableaux et objets d’art –, la manifestation rappelle en effet le formidable foyer artistique qu’a constitué Fontainebleau au XVIe siècle.
Outre la programmation, cette ambition d’apporter cohérence, lisibilité et rayonnement au château passe, aussi, par l’extension du parcours de visite, grâce à la restauration de salles inédites, mais aussi à l’ouverture pérenne d’espaces, autrefois exclus du circuit principal de visite, comme le Musée Napoléon Ier.

Napoléon trône en maître
Atout majeur du château, ce musée présente une riche collection de peintures, de sculptures, d’objets d’art et de documents, provenant majoritairement de la succession des princes Napoléon, descendants directs de Jérôme de Westphalie, dernier héritier de l’Empereur. Il conserve une importante galerie de portraits, de nombreuses pièces évoquant le sacre, les fastes de la cour impériale, la vie sur les champs de bataille ainsi que la naissance du roi de Rome. Initialement sur deux niveaux, rez-de-chaussée et premier étage de l’aile Louis XV, le musée a dû être concentré dans l’étage noble, à cause d’un cambriolage.
Consciente du rayonnement que confère cette collection au château, notamment à l’étranger, la direction souhaite ardemment la redéployer et l’enrichir. « Les efforts d’enrichissement de nos collections portent, de fait, essentiellement sur les œuvres destinées au musée. Dernièrement, nous avons d’ailleurs acquis plusieurs pièces importantes, comme le Service aux camées et un grand portrait de Canova, pour compléter la collection », confie Xavier Salmon.
Évidemment, 2014, année du bicentenaire de l’abdication de l’Empereur, sera placée sous le signe de Napoléon Ier. Outre une rétrospective consacrée au baron Gérard, portraitiste de l’Empire, le château accueillera une reconstitution de la cérémonie des adieux de Napoléon Ier à la Garde, ainsi qu’une exposition traitant des relations difficiles entre l’Empereur et l’Église, écho aux appartements du pape, aménagés pour la venue de Pie VII pour le sacre.
Une programmation, ambitieuse et grand public, qui devrait permettre au château de conforter le regain d’intérêt de ses visiteurs, dont le nombre ne cesse de croître depuis la définition d’une politique culturelle axée sur ses fondamentaux.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°657 du 1 mai 2013, avec le titre suivant : Fontainebleau - Château cherche son roi

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