En partenariat avec le Musée des beaux-arts de Lyon, l’INHA consacre une exposition à Henri Focillon (1881-1943), figure dominante de l’histoire de l’art en France avant la Seconde Guerre mondiale.
LYON - Afin d’affirmer sa vocation nationale et de souligner son rôle de trait d’union entre historiens de l’art et conservateurs de musées, l’INHA (Institut national d’histoire de l’art) présente sa deuxième exposition (1), « Focillon et les arts », à Lyon, en collaboration avec le Musée des beaux-arts de la ville.
« D’autres facteurs ont plaidé en faveur de ce choix, comme le fait qu’Henri Focillon fut pendant plus de dix ans directeur des musées de Lyon », souligne la conseillère scientifique à l’INHA Alice Thomine, co-commissaire de la manifestation avec le conservateur du Musée des beaux-arts Christian Briend. Première d’une série d’événements consacrés à « l’histoire de l’histoire de l’art », l’exposition lyonnaise « s’attache à montrer toute la complexité d’un personnage qui, intellectuel engagé depuis son entrée au parti socialiste en 1906 jusqu’à son exil aux États-Unis, se caractérise par la diversité de ses intérêts artistiques », écrivent les commissaires dans le catalogue. On oublie en effet parfois que l’auteur de La Vie des formes (1934), avant tout célèbre pour ses écrits sur le Moyen Âge, fut à la fois un passionné de gravure, un historien et critique de la peinture moderne (La Peinture aux XIXe et XXe siècles, 1928), un spécialiste de l’art extrême-oriental et un amateur de peinture roumaine et d’art populaire.
Structuré et didactique, le parcours en six sections rend justice au pouvoir évocateur du verbe de Focillon – de nombreuses citations ponctuent l’exposition –, à la multiplicité de ses goûts et à sa vision extra-hexagonale de l’histoire de l’art. L’intérêt pour l’art de ce normalien et agrégé de lettres y apparaît indissociable de son héritage familial. Fils de l’aquafortiste Victor Focillon, le jeune Henri renonce à embrasser la profession de son père en raison d’une trop forte myopie. Mais il consacrera plusieurs ouvrages aux « régions mystérieuses de l’estampe » (Technique et Sentiment, Les Maîtres de l’estampe) et dédiera sa thèse à Piranèse. Une vingtaine d’eaux-fortes illustrent sa prédilection pour cette technique et sa sensibilité aux artistes « visionnaires », catégorie dans laquelle il range Dürer, Rembrandt, Callot, Goya, Daumier, Zorn ou Manet.
Le basculement véritable de Focillon vers l’histoire de l’art s’opère cependant à partir de 1913, date à laquelle il est nommé directeur des musées de Lyon. Ses acquisitions pour le Musée des beaux-arts, évoquées à travers une sélection d’œuvres, témoignent déjà de la nature de ses penchants : ignorant l’Antiquité et l’art ancien et négligeant la peinture contemporaine, elles font la part belle aux petits maîtres du XIXe (paysages de Barye et Georges Michel, portraits d’Alfred Dehodencq et d’Hippolyte Flandrin, scènes de genre de Tassaert), à la peinture étrangère (Mariano Fortuny, Edwin Scott), aux arts graphiques (dessins de Delacroix, Daumier, Millet, Rousseau) et aux arts décoratifs. Dans ce domaine, son coup de maître fut l’achat de la collection Raphaël Collin, vaste ensemble de céramiques chinoises, coréennes et surtout japonaises.
Approche formaliste
Paradoxalement, l’intérêt de Focillon pour le Moyen Âge est plus tardif et, surtout, naît de manière accidentelle, puisque l’historien de l’art ne commence à s’en préoccuper qu’en 1924, année où il est nommé suppléant du médiéviste Émile Mâle à la faculté de lettres de Paris. « Focillon, qui avait jusqu’alors écrit et réfléchit sur Cellini, Hokusai, Piranèse et sur la peinture française du XIXe siècle, se trouvait, dans cette constellation, dans la meilleure et la pire des situations : ni archéologue, ni chartiste, ni iconographe. Mais il avait une intelligence sensible et lucide, exercée par ses explorations dans d’autres domaines, à chercher et comprendre la pensée d’un art », souligne dans le catalogue Willibald Sauerländer. L’acuité et la fraîcheur de son regard, alliées à sa curiosité de néophyte, semblent en effet expliquer sa vision renouvelée de l’art médiéval. Ne se souciant ni des dates, ni de la provenance géographique, ni du contexte historique ou de l’iconographie, il bouscule les méthodes d’interprétation en vigueur et les théories d’éminents médiévistes comme Émile Mâle, qui voyait dans la sculpture romane l’imitation d’autres techniques (enluminure, ivoire, orfèvrerie…). Car, pour Focillon, « l’image est forme d’abord et partie d’un tout ». L’étude des chapiteaux sculptés romans est par exemple indissociable selon lui de celle de l’architecture qui les abrite, et leurs formes obéissent à des lois internes indépendantes du contexte spatio-temporel. Cette approche formaliste, qui culmine dans la Vie des formes, en fait l’un des piliers de l’histoire de l’art en France. Mais, à l’instar de son étude partiale et partielle de l’art du XXe siècle (Focillon ignora l’expressionnisme allemand, le futurisme, le surréalisme et l’abstraction), elle se heurte à des limites dont l’exposition ne rend pas compte. À force de mettre l’accent sur la largeur de sa vision et à son exploration de « Nouveaux territoires de l’art », titre des deux dernières sections, cette dernière oublie d’évoquer certaines lacunes de sa réflexion. Seul le catalogue, somme remarquable sur le sujet, montre « combien l’analyse de Focillon est en réalité dépendante du contexte esthétique de son époque, celui du retour à l’ordre », et relève « certaines déficiences propres aux historiens d’art lorsqu’ils doivent évaluer l’art contemporain ». Comme l’écrit Pierre Vaisse, « par sa formation, par ses racines intellectuelles, Focillon est toujours resté un homme du XIXe siècle ».
(1) La première, organisée de décembre 2002 à février 2003 en partenariat avec la BnF, avait pour titre « Caylus, antiquaire du roi ».
Musée des beaux-arts, 20 place des Terreaux, 69001 Lyon, tél. 04 72 10 17 40, tlj sauf mardi 10h-18h, vendredi 10h30-18h. Catalogue édité par Snœck, Gand, 330 p., 36 euros, ISBN 90-5349-495-2.
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Focillon, la forme et le verbe
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°187 du 20 février 2004, avec le titre suivant : Focillon, la forme et le verbe