Ces artistes de l’entre-deux-guerres conjuguaient le tourbillon des Années folles à un art mélancolique teinté de surréalisme.
Paris. Il y a un an paraissait le livre Néo-Romantiques (Flammarion, 2022) que Patrick Mauriès consacrait à « un épisode oublié de l’histoire de l’art moderne ». Le directeur du Musée Marmottan Monet, Érik Desmazières, lui a alors demandé d’être le commissaire d’une exposition présentant les artistes qu’il faisait découvrir, dont Christian Bérard (1902-1949) était le seul à avoir été récemment exhumé.
Dans sa note liminaire à l’album Néo-Romantiques (Presses de Sérendip, 2023) qui accompagne cette manifestation, Patrick Mauriès rappelle que les œuvres qu’il a réunies – une centaine – étaient « jusqu’alors discrètement cantonnées aux réserves des musées et des cabinets de collectionneurs tant européens qu’américains ». Elles constituent la trace d’une société d’excentriques magnifiques et souvent désespérés des années 1920 à 1950. Attachés au portrait et au paysage, les artistes ont tracé leur chemin en dehors des avant-gardes et exercé leur créativité dans des domaines variés dont la scénographie, le décor, le costume. Si des écrivains et des personnalités de la mode ou du spectacle ont chanté leurs louanges, si des collectionneurs en vue les ont choisis, eux-mêmes ont négligé de se créer une image et une légende. « Sans doute manquions-nous d’un promoteur idéologique capable de nous organiser, de propager nos idées et aspirations, et de leur conférer une cohésion vitale »,écrivait Eugène Berman (1899-1972) dans un texte reproduit dans l’album. Il notait d’ailleurs que le nom même du groupe n’était pas défini : « Néo-Romantique, Néo-Classiciste, Surréaliste, toutes ces appellations seraient à la fois vraies et fausses. » On ajoutera Néo-Maniériste car « ils succédaient à Picasso comme d’autres ont succédé à Léonard et Michel Ange », remarque Érik Desmazières.
Tous sont passés par Paris, mais plusieurs ont émigré aux États-Unis. C’est un Anglais, Sir Francis Rose (1909-1979), qui réalise en 1938 un portrait de groupe représentatif du milieu international dans lequel ils sont inscrits. On y compte les peintres Christian Bérard et Pavel Tchelitchew (1898-1957), mais aussi, Jean Cocteau (1889-1963), les poétesses américaines Gertrude Stein (1874-1946) et Natalie Clifford Barney (1876-1972), l’écrivain américain Louis Bromfield (1896-1956), le danseur français d’origine ukrainienne, Serge Lifar (1905-1986) et le peintre français Francis Picabia (1879-1953), auprès duquel s’est formé Francis Rose (1909-1979).
Après une évocation de l’exposition qui a fait connaître les Néo-Romantiques, en février 1926 à la galerie Druet, des sections individuelles sont consacrées aux univers très différents de cinq des peintres qui y participaient. Pour Bérard, l’accent est mis ici sur les portraits empreints de gravité et les autoportraits douloureux. Les mutations de Tchelitchew, obsédé par les corps, sont saisissantes, depuis les nus qui semblent surgir de la terre, en passant par le Clown vert (1929), créature de Frankenstein constituée de plusieurs silhouettes de circassiens, le Portrait d’Edulji Dinshaw (1940) posé comme une montagne dans un paysage, jusqu’aux personnages de la fin des années 1940 réduits à des volumes géométriques ou des circuits neuronaux. L’art élégant d’Eugène Berman, proche du surréalisme, donne naissance à des œuvres énigmatiques et puissantes tandis que son frère, Léonide Berman (1896-1976), peint « la mer, l’espace et la solitude », des scènes de pêche presque réalistes, mais aussi un Malamocco, lagune vénitienne (1948) lointain parent des compositions d’Yves Tanguy. Thérèse Debains (1897-1975) enfin, la discrète, a laissé des portraits, paysages et natures mortes « d’une poignante mélancolie », selon Patrick Mauriès, qui étonnent auprès des productions tourmentées ou tragiques de ses amis.
Une salle est consacrée aux Anglais Christopher Wood (1901-1930) et Francis Rose ainsi qu’au Néerlandais Kristians Tonny (1907-1977) avant que l’exposition ne se conclue sur un superbe ensemble de projets de décors, costumes et illustrations d’Eugène Berman, Leonor Fini (1908-1996), Pavel Tchelitchew et Christian Bérard.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°608 du 31 mars 2023, avec le titre suivant : Fascinants Néo-Romantiques