Exposées pour la première fois en France, au Mémorial de la Shoah, les archives Ringelblum font revivre le quotidien du ghetto de Varsovie et sa fin tragique.
PARIS - De 1940 à 1943, au cœur du ghetto de Varsovie, un groupe d’hommes et de femmes réunis autour de l’historien Emmanuel Ringelblum (1900-1944) accumulent une multitude de documents afin de témoigner du sort de la communauté juive en Pologne et dans l’ensemble des territoires occupés par les nazis. Pressentant une fin tragique, le groupe, qui se surnomme « Oyneg Shabbes » (« allégresse du shabbat » en hébreu), cache sous terre, en trois endroits du ghetto, les fruits de ses récoltes, en août 1942 d’abord puis au début de 1943. Retrouvés en partie au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, ces témoignages uniques, inscrits depuis 1999 par l’Unesco au Registre de la « Mémoire du Monde » , sont conservés à l’Institut historique juif de Varsovie (ZIH). Parmi les 6 000 pièces que constituent ces archives, une centaine de documents sont aujourd’hui présentés à Paris, au Mémorial de la Shoah. Après New York, c’est pour la seconde fois seulement qu’ils sortent de Pologne.
Méthode de travail moderne
En introduction, un grand panneau rend hommage aux membres d’Oyneg Shabbes, enseignants, économistes, écrivains, travailleurs sociaux, scientifiques ou anonymes. La majorité d’entre eux sont morts dans le ghetto de Varsovie ou au camp d’extermination de Treblinka. « Leur but était de réaliser un ouvrage clandestin, une sorte d’encyclopédie de ce qui se passait, à la fois le répertoire et l’analyse d’une situation que tous sentaient dramatique, précise l’historien Michel Wlassikoff, co-commissaire de l’exposition. Les méthodes de travail d’Emmanuel Ringelblum étaient très modernes. » Lettres manuscrites, formulaires administratifs, cartes d’alimentation, dessins d’enfants, certificats d’embauche, cartes d’identité, coupures de presse, textes littéraires : aucun document n’est laissé au hasard, le moindre élément pouvant rendre compte de la réalité au quotidien.
Délicatement éclairées, les archives sont exposées par ordre chronologique dans des vitrines, face à de grands panneaux retraçant l’histoire du ghetto, reproductions photographiques à l’appui. Dès la fin 1941, conscients de l’existence d’un plan d’extermination totale, les membres d’Oyneg Shabbes privilégient le travail d’investigation et montent une agence d’information pour la presse clandestine. Ils constituent des pièces à conviction qui serviront par la suite à fonder des actes d’accusation contre les nazis. Ainsi peut-on lire à la fin du parcours cette lettre (en date du 3 août 1942) signée d’un jeune homme de 19 ans, Dawid Graber, chargé par son professeur de l’enfouissement de la première partie des archives : « J’aimerais vivre pour voir le jour où cet immense trésor sera découvert et fera éclater la vérité à la face du monde […]. Puisse ce trésor tomber dans de bonnes mains, puisse-t-il se conserver jusqu’à des jours meilleurs, pour alerter le monde de ce qui a été conçu et commis au XXe siècle. »
En préambule, un film datant de 1946 relate l’exhumation des archives. Éditées en polonais et en yiddish, en 1997 et en 2000, les archives feront prochainement l’objet d’une publication française, par Fayard et avec la BDIC (Bibliothèque de documentation internationale contemporaine). « À l’heure où des conférences négationnistes sont organisées en Iran, cette exposition sonne comme une indispensable piqûre de rappel », conclut Michel Wlassikoff.
Jusqu’au 29 avril, Mémorial de la Shoah, 17, rue Geoffroy-l’Asnier, 75004 Paris, tél. 01 42 77 44 72, www.memorialdelashoah.org, tlj sauf samedi,10h-18h et 22h le jeudi. Catalogue, 32 p., 17 euros.
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« Faire éclater la vérité à la face du monde »
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Abonnez-vous dès 1 €- Commissariat : Eleonora Bergman, directrice adjointe de l’Institut historique juif de Varsovie ; Jean-Claude Famulicki, responsable du département polonais de la BDIC ; Michel Wlassikoff, historien. Sous la coordination de Sophie Nagiscarde, responsable des activités culturelles du Mémorial de la Shoah, et de Marlène Rigler, assistante. - Scénographie : Pierre Jorge Gonzalez/Judith Haase/AAS - Textes de l’exposition : Georges Bensoussan, historien, rédacteur en chef de la Revue d’histoire de la Shoah
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°251 du 19 janvier 2007, avec le titre suivant : « Faire éclater la vérité à la face du monde »