De Louise Abbéma à Suzanne Valadon, en passant par Tamara de Lempicka et Marie Laurencin, le monastère royal de Brou consacre une exposition au rôle des femmes dans l’art au tournant des XIXe et XXe siècles.
Quelle fut la place des femmes dans l’effervescence artistique française à l’aube du XXe siècle ? Voilà la question qu’entend poser l’exposition organisée au monastère royal de Brou autour de la figure de Suzanne Valadon et de ses contemporaines, peintres et sculptrices. L’exposition révèle les diverses facettes de la lutte des femmes qui revendiquent, entre 1880 et 1940, reconnaissance et égalité par rapport à la gent masculine : l’accès à la formation et l’entrée aux Beaux-Arts, les réseaux artistiques auxquels les femmes appartiennent, leur place créatrice au sein des mouvements d’avant-garde et les sujets dont traitent leurs œuvres. Parmi ces sujets, la question du nu est particulièrement emblématique de cette émancipation des artistes femmes au tournant du XXe siècle.
Bien que déjà reçues, au fil du XIXe siècle, dans les académies libres (comme la célèbre Académie Julian), les femmes doivent attendre 1897 pour avoir leur place sur les bancs des ateliers de l’École des beaux-arts, et ce grâce à l’activisme de l’Union des femmes peintres et sculpteurs (fondée en 1881). Et si la représentation du corps nu et la connaissance de l’anatomie ont toujours été au centre de l’apprentissage de la peinture, l’étude d’après modèle vivant fut longtemps réservée à un public masculin.
Il faut attendre 1901 pour que les femmes accèdent au droit à étudier le nu d’après modèle vivant, en classe non mixte toutefois, question de bienséance, dit-on ! « Il ne faut pas que le sujet érotique soit traité par une demoiselle, il nous semble que cela pèche au moins contre les convenances et contre les mœurs » : voilà ce que l’on trouve écrit dans la critique au sujet du Flambeau de Vénus, peint en 1808 par Constance Mayer ! Cette dernière, qui avait eu accès aux modèles nus en travaillant avec Prud’hon, s’était déjà attiré les foudres de la critique au salon de 1806, en représentant Vénus et Cupidon nus…
Pour la majorité des artistes femmes de l’époque, la connaissance du nu est d’abord passée par l’étude de la statuaire antique ou l’observation de leur propre corps dans le miroir. Certaines, comme Émilie Charmy ou Suzanne Valadon, réalisent ainsi de troublants autoportraits et n’hésitent pas à représenter le corps nu de leurs proches et amant(e)s. Révélateurs de l’émancipation féminine, il y a dans ces regards une inversion des rôles et des codes, habituellement incarnés par des visions fantasmatiques d’hommes désirants. Le parcours de Suzanne Valadon est à ce titre particulièrement exemplaire. Elle fut d’abord modèle pour de célèbres peintres tels que Puvis de Chavanne, Renoir ou Toulouse-Lautrec. Puis elle se lance elle-même dans la pratique de la peinture et fera poser ses propres modèles. Ses nombreuses représentations de femmes s’inscrivent dans la tradition des Vénus et baigneuses. Mais elles en offrent une interprétation de la femme robuste, « masculinisée », libre des convenances et des modèles féminins issus d’une histoire de l’art essentiellement écrite par les hommes.
À l’instar de Suzanne Valadon, nombre de femmes ont porté, à l’égal des hommes, un regard libre sur la charge érotique du nu, féminin ou masculin. Ainsi d’Hélène Bertaux, Tamara de Lempicka, Jacqueline Marval, Georgette Agutte, Camille Claudel ou Germaine de Roton. Sans tabous, ces artistes femmes ont navigué entre douceur et rudesse, crudité et sensualité, féminité et air de garçonne. Souvent objets de scandales, leurs visions singulières ont permis de reconsidérer les territoires du fantasme et du féminin autrement qu’à travers les archétypes imposés par leurs homologues masculins.
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Être femme, artiste et peindre le nu
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°744 du 1 juin 2021, avec le titre suivant : Être femme, artiste et peindre le nu