Erró, qui expose ses collages à la Galerie Louis Carré jusqu’au 31 octobre, ouvre dès la première salle l’exposition « The World Goes Pop » à la Tate Modern.
L’ŒIL : Le critique d’art américain Arthur C. Danto vous a qualifié un jour de « pop baroque », définition qui ne semble pas vous gêner. Êtes-vous un artiste du pop ou de la Figuration narrative ?
ERRÓ : Je suis très content d’être dans tous ces groupes, parce que cela élargit mon style et la façon dont je travaille. J’ai connu très tôt les artistes pop : Warhol, Rosenquist, Jim Dine, etc. Je suis arrivé pour la première fois en Amérique en décembre 1963, et je suis resté à New York jusqu’en 1968. Je vivais alors avec une Américaine, et nous passions chaque année plusieurs mois à New York. J’étais très ami avec Fahlström, qui m’a emmené dans tous les ateliers de la ville, et m’a fait rencontrer les artistes pop. Les portes étaient ouvertes à l’époque, ce qui était étonnant par rapport à Paris où nous allions difficilement dans les ateliers des autres.
À cette époque, les artistes pop vous considèrent-ils comme l’un des leurs ?
Non, nous faisions des échanges de tableaux, mais il y avait une espèce d’égoïsme à l’américaine. Pour eux, l’Europe ne comptait pas du tout, alors que ce sont les Anglais qui ont inventé le pop art !
La rencontre avec ces artistes a-t-elle influencé votre façon de travailler, notamment la pratique du collage ?
Non, le collage a démarré chez moi lorsque j’habitais place Maubert, à cause de la proximité d’un dépôt de papier, de plastique et de verre qui, tous les matins, recevait plusieurs sacs de plusieurs kilos de papier. C’est là que je récupérais les revues en noir et blanc, dont pour moi la plus belle : L’Usine nouvelle. Et c’est à ce moment-là, en 1959-1960, que je réalise la série des Méca-make-up, association de visages de mannequins et d’éléments mécaniques. John Heartfield avait déjà réalisé des collages violents et magnifiques, mais je l’ai découvert plus tard.
À New York, près de l’hôtel Chelsea, il y avait aussi un dépôt de journaux. Je me souviens très bien qu’il y avait à gauche les revues et, à droite, les journaux. Tous les artistes allaient là. On se voyait tous là : nous achetions les journaux au poids avant d’aller boire un café.
Qu’est-ce qui différencie le pop art de la Figuration narrative ?
Le pop art est un art très simple, c’est une image basée sur le détail d’une pomme ou d’un visage, alors qu’en France nous sommes beaucoup plus politiques. Je dis toujours qu’il faut une minute pour regarder un tableau pop, alors qu’il faut dix minutes pour lire un tableau de la Figuration narrative.
Et puis, c’est très étonnant, mais tous les artistes pop sont aujourd’hui décédés – sauf celui qui est le plus important à mes yeux : James Rosenquist, qui vit maintenant en Floride et avec lequel je suis toujours en contact. Alors que les artistes de la Figuration narrative, nous sommes tous vivants !
Vous avez visité l’exposition « The World Goes Pop » à la Tate Modern, qu’en pensez-vous ?
L’exposition est extraordinaire, il n’y a pas un seul artiste qui a fait plus d’un million de dollars en ventes ! Elle montre des artistes qui ont, pour certains, été complètement oubliés, qui ne sont pas passés par les mains de spéculateurs américains. Quant au catalogue, c’est un chef-d’œuvre ! J’ai revu grâce à cette exposition des gens et des œuvres que je n’avais plus vus depuis quarante ans, comme Marisol, Kiki Kogelnik (que l’on voyait partout à l’époque, mais que l’on ne connaît plus aujourd’hui), Joan Rabascall (qui n’est plus vraiment exposé, alors que la Tate montre une très belle pièce). Par ailleurs, c’est une exposition féminine [les commissaires sont des femmes, ndlr].
Êtes-vous féministe ?
Complètement ! J’ai même créé un prix, auquel j’ai donné le nom de ma tante, que l’on décerne chaque année à une jeune femme artiste.
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Erró : « Nous, les artistes de la Figuration narrative, nous sommes tous vivants ! »
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Abonnez-vous dès 1 €Erró dans son atelier © Photo Blaise Adion
Erró, American Interior #1, 1968, acrylique sur toile, Museum moderner Kunst, Stifung Ludwig, Vienne. © Photo mumpokl
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°684 du 1 novembre 2015, avec le titre suivant : Erró : « Nous, les artistes de la Figuration narrative, nous sommes tous vivants ! »