Galerie

Postmoderne

L’étoffe de Erró

Par Henri-François Debailleux · Le Journal des Arts

Le 12 avril 2017 - 665 mots

À la galerie Louis Carré, les maîtres viennent s’encanailler dans les décors pop du peintre islandais.

PARIS - Cette nouvelle exposition d’Erró est intitulée « Les grands Maîtres ». Certes, on avait déjà vu, à Lyon, lors de sa grande rétrospective au Musée d’art contemporain sur trois étages fin 2014-début 2015, des œuvres construites à partir d’emprunts à l’histoire de l’art. Mais c’est la première fois qu’une exposition entière est montrée sur ce thème du pastiche d’œuvres, principalement de Léger et Picasso. En découvrant dans son atelier qu’Erró avait peint quelque vingt-cinq tableaux sur ce sujet depuis 2012, Patrick Bongers a eu l’idée d’en présenter un ensemble, sous la forme d’un clin d’œil, puisque Léger et Picasso ont eux-mêmes exposé dans cette galerie, créée par son grand-père Louis Carré en 1938, au 10 avenue de Messine.

Dans cette sélection d’œuvres de formats différents et d’inspiration variée étalée sur cinq années, on retrouve le principe du collage et du télescopage d’images qu’Erró a pratiqués pour la première fois en 1956 et systématisés à partir de 1964 au retour de son voyage à New York. Depuis cette date, l’artiste est resté fidèle à cette méthode de travail qui le voit accumuler des milliers d’images. Il les classe soigneusement par thèmes et choisit parmi elles en fonction de ses besoins. Puis il les découpe, les juxtapose, les colle sur papier et projette la composition obtenue sur toile ou bien, depuis quelques temps, fait agrandir l’image en Digigraphie pour la peindre ensuite.

Chez Erró, cette boulimie d’images et de travail (encore aujourd’hui) concerne tous les domaines, qu’ils soient politique (on se souvient de sa série sur Mao), militaire (avec les évocations de guerre), religieux, économiques et culturels bien sûr. L’artiste s’intéresse aussi à tous les pays,  de la bande dessinée européenne aux comics américains en passant par les mangas japonais qu’il « adore pour leur grande fraîcheur ». Erró s’amuse d’ailleurs beaucoup de l’existence d’une île près du Japon du nom d’Eromanga. Cela ne s’invente pas. Dans son immense réservoir d’images, il aime aussi piocher dans l’histoire de l’art qu’il connaît sur le bout du pinceau. « Au fond je suis très classique. Je fais d’ailleurs très attention à la composition. Mon favori n’est pas Warhol, mais plutôt Rubens ou Tintoret », rappelle-t-il. Miró, Matisse, Magritte ont déjà été mixés. Ici on voit plutôt Léger et surtout Picasso, une mine d’or. Pourquoi lui ? « Il a une formidable liberté de style que j’aime reprendre, parce que c’est un exercice extraordinaire pour la main », indique Erró. Et également parce que les formes de Picasso se conjuguent et se fondent très bien avec les figures de Walt Disney ou la superhéroïne Wonder Woman.

Des œuvres séduisant les francophones
Les prix vont de 9 000 euros pour les plus petits formats à 120 000 euros pour le plus grand avec une moyenne autour de 65 000 euros. Ce qui n’est certes pas donné, mais est mérité pour une œuvre de cette qualité et pour un artiste de son âge (il est né en 1932, à Olafsvik, en Islande) qui a beaucoup exposé dans le monde entier et s’est vu consacrer d’importantes rétrospectives. En outre, ces prix correspondent à la réalité du marché, comme en témoignent les résultats similaires de l’artiste en ventes publiques. Les collectionneurs ne s’y sont d’ailleurs pas trompés puisqu’une semaine après l’ouverture de l’exposition, ce ne sont pas moins de 16 tableaux qui étaient déjà vendus. À qui ? Uniquement à des collectionneurs privés, les collections publiques étant déjà largement pourvues en œuvres d’Erró. Et « principalement à des collectionneurs français ou francophones, de Suisse ou du Luxembourg par exemple », indique Patrick Bongers. Il rappelle « la difficulté, pas spécifique à Erró, mais à la plupart des artistes français de cette génération, à les faire “sortir” de l’Hexagone. D’ailleurs notre galerie est plutôt francophone, avec des artistes français ou installés ici depuis longtemps, des collectionneurs en majorité français et en conséquence des prix qui plafonnent. Heureusement, il y a eu récemment cette exposition à New York à la galerie Emmanuel Perrotin qui a été un franc succès ». Le début d’une Errómania ?

Erró, les grands maîtres

Jusqu’au 29 avril, galerie Louis Carré & Cie, 10 avenue de Messine, 75008 Paris.

Légende photo

Errò, Portrait des artistes, 2011 Glycérophtalique sur toile 151 x 77 cm

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°477 du 14 avril 2017, avec le titre suivant : L’étoffe de Erró

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