Grand spectacle

Épées et carton-pâte

Le Journal des Arts

Le 15 janvier 2013 - 720 mots

Aux musées gallo-romains, « Péplum » retrace l’histoire du genre cinématographique, sans éviter les écueils sur le plan de la muséographie.

SAINT-ROMAIN-EN-GAL, LYON - Depuis les débuts du cinéma, le péplum fait les beaux jours du box-office. Des frères Lumière au Gladiator de Ridley Scott (2000), l’Antiquité et ses héros mythiques ont passionné cinéastes et spectateurs. Aux musées gallo-romains de Saint-Romain-en-Gal et de Lyon-Fourvière, le genre cinématographique est scruté sous ces différents aspects, depuis le rapport à ses sources jusqu’aux contextes socio-économiques de la production de ces « classiques ».

À Fourvière, le choix a été fait d’installer cinq « pavillons » dans les collections permanentes pour mettre en lumière le regard porté sur l’archéologie par les cinéastes. Les succès iconographiques rencontrés par les mises en scène des peintres du XIXe, Jean-Léon Gérôme en tête, forgent un imaginaire qui use indifféremment du vrai et du faux. Autour des pavillons, les vestiges archéologiques entrent en contact avec le carton-pâte des reconstitutions « à l’antique », qu’elles soient romaines ou italiennes, qu’elles datent des années 1930 ou du XXIe siècle. Les armures des militaires et des gladiateurs, très codifiées, sont souvent malmenées, notamment dans le Spartacus de Stanley Kubrick (1960) où Kirk Douglas porte un assemblage d’armes peu cohérent avec l’archéologie militaire. La célèbre mosaïque des Jeux du cirque est mise en regard avec des extraits de Ben Hur (W. Wyler, 1959) : la course de char, qui dure onze minutes, aurait nécessité trois mois de tournage et deux ans de préparation. Les pavillons font donc naviguer le visiteur entre archéologie et grand spectacle.

Rome glorifiée
À Saint-Romain-en-Gal, le principe est presque inversé : ici l’archéologie est beaucoup moins présente, laissant le champ libre au spectaculaire. Dès l’entrée, le premier « péplum » de l’histoire du cinéma, Néron essayant des poisons sur des esclaves, déroule les 46 secondes du court-métrage des frères Lumière en 1897. L’opérette n’est pas loin, avec ses costumes de fantaisie et une gestuelle outrée. Le parcours, en étoile, présente onze « cellules » thématiques et impose des allers-retours entre l’iconographie et l’engouement pour l’antique de la fin du XIXe et les productions cinématographiques du siècle suivant. Les gravures de Gérôme et les maquettes pour l’opéra Aïda de Verdi créé en 1871 conduisent logiquement aux premiers péplums du cinéma muet puis parlant, du noir et blanc au Technicolor.

L’antique passionne, en raison de ses thèmes qui flirtent avec l’universel : l’amour contrarié, la figure du héros, les ravages du pouvoir, la lutte pour la liberté, le combat contre la barbarie. Les sections sont bien choisies et illustrées par des montages d’extraits plus ou moins connus. Mais alors qu’affiches et photographies composent la majeure partie des œuvres présentées, les montages vidéo, sans doute trop nombreux, requièrent une concentration qui s’effiloche au fil des sections. Exposer le cinéma représente un défi en soi qui, à Saint-Romain-en-Gal, ne tient pas toutes ses promesses. Le catalogue donne toutefois les clés de lecture qui manquent dans la médiation écrite de l’exposition. Claude Aziza, spécialiste des représentations de l’Antiquité et co-commissaire de l’exposition, y signe un chapitre passionnant sur les différentes idéologies sous-tendues par le genre : pour l’Italie des années 1930, il s’agit de mettre en avant le passé glorieux de Rome et, à travers la lutte des Romains contre Carthage, de louer l’expansion coloniale en Afrique. Spartacus de son côté apparaît comme un emblème politique, un homme en lutte contre un système répressif : Kubrick réalise le sien en plein maccarthysme…

Quant à l’abondance de péplums bibliques après la création de l’État d’Israël, elle s’accompagne, bien que de façon plus implicite, de points de vue politiques et références à l’histoire contemporaine. Entre les films coûteux des grands studios hollywoodiens et la profusion de séries B dans les années 1960, dont un magnifique Hercule contre les vampires (Mario Bava, 1961), le péplum est foncièrement protéiforme. On aurait gagné à plus de subtilité dans sa présentation.

PÉPLUM, L’ANTIQUITÉ SPECTACLE

Jusqu’au 7 avril, Musée gallo-romain de Saint-Romain-en-Gal-Vienne, Route départementale 502, 69560 Saint-Romain-en-Gal, tél. 04 74 53 74 01 ; Musée de Lyon-Fourvière, 17, rue Cléberg, 69005 Lyon, tél. 04 72 38 49 30, www.musees-gallo-romains.com, tlj sauf lundi 10h-18h.

Catalogue, éd. Fage, 172 p., 29,50 €.

Voir la fiche de l'exposition : Péplum

PÉPLUM

Commissariat général : Hélène Lafont-Couturier, directrice des musées du Département du Rhône

Scénographie : Agence NC Nathalie Crinière

Légende photo

Affiche de l'exposition « Péplum » au Musée gallo-romain de Saint-Romain-en-Gal-Vienne , du 9 octobre 2012 au 7 avril 2013.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°383 du 18 janvier 2013, avec le titre suivant : Épées et carton-pâte

Tous les articles dans Expositions

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque