CHANTILLY
Il est l’un des grands génies de la Renaissance. Pourtant, ses œuvres sont rarement exposées en France. Le château de Chantilly répare cette injustice en présentant plus de 200 feuilles d’Albrecht Dürer.
Alors que la question européenne est plus que jamais au cœur de l’actualité, on oublie souvent la dimension culturelle que peuvent revêtir les échanges transnationaux. Le château de Chantilly vient opportunément mettre à l’honneur le plus europhile des artistes : Albrecht Dürer (1471-1528). Longtemps présenté comme le parangon de l’art germanique, le peintre est en réalité un géant européen. Tandis que la majorité de ses contemporains n’a jamais quitté son royaume natal, voire sa contrée, lui a multiplié les voyages. Les pérégrinations du maître de Nuremberg l’ont tantôt mené dans le Rhin supérieur, aux Pays-Bas, dans le Tyrol, mais aussi à Venise. Citoyen du monde avant la lettre, il est sans doute le premier artiste à avoir autant voyagé. Chacun de ses périples avait pour objectif la découverte d’un artiste ou d’une nouveauté, ou la rencontre de penseurs, de clercs et de princes. À telle enseigne que sa démarche incarne l’idéal de l’humanisme et du syncrétisme de la Renaissance. C’est bien connu, les voyages forment la jeunesse, et c’est donc tout naturellement qu’il prend son baluchon et sillonne la vallée du Rhin dès 1490, au cours d’un voyage d’apprentissage. Direction Colmar pour rencontrer son modèle, le peintre Martin Schongauer. Hélas, les nouvelles ne circulent pas aussi vite à l’époque, et Dürer arrive quelques mois après le trépas de son idole. Il met cependant ce séjour à profit pour rencontrer le frère de ce dernier à Bâle, qui est alors un des principaux foyers de la production de livres imprimés et illustrés.
Très rapidement, l’art de la gravure devient donc indissociable du voyage pour Dürer. Cette pratique tiendra une place de choix dans son œuvre, et ce, jusqu’à la fin de sa carrière. Immense peintre et dessinateur de génie, il fut le premier à placer l’estampe au même rang que les autres arts. Il s’illustra dans toutes les techniques : gravure sur bois, burin, pointe sèche et eau-forte. Révolutionnaires par leur modernité, elles frappent aujourd’hui encore par leur qualité exceptionnelle. Avant-gardiste, il fonde dès 1495 son propre atelier et se lance dans une entreprise inédite : L’Apocalypse, à savoir le premier livre intégralement conçu et publié par un artiste ! Les gravures fantastiques qui composent l’ouvrage sidèrent toujours par leur expressivité fougueuse et leur dynamisme échevelé. Ces compositions sont une parfaite synthèse entre les sources nordiques et antiquisantes. Pour Dürer, la gravure est en effet le terrain privilégié de l’émulation artistique. Véritable creuset esthétique, la planche devient le théâtre de la confrontation et de l’assimilation des nouveautés plastiques et techniques de ses confrères flamands, germaniques comme italiens. De par sa facilité de circulation, l’estampe constitue en effet le médium idéal pour diffuser les innovations stylistiques. Durant sa formation, Dürer copie ainsi les gravures de ses illustres aînés transalpins, à commencer par Mantegna et Pollaiolo. Mais l’influence fonctionne dans les deux sens, car on sait qu’avant même son premier voyage dans la Sérénissime, son art est déjà connu des Italiens, puisque Raphaël en personne s’est inspiré de ses planches spectaculaires exécutées pour son livre La Grande Passion.
Jamais sans doute n’avait-on représenté un animal avec un tel degré de réalisme. Maître incontesté du dessin animalier de la Renaissance, Dürer signe un véritable portrait de l’oiseau. Sa position et son regard presque interrogateur confèrent une certaine profondeur à la cigogne. Ce dessin d’une précision zoologique a été réalisé d’après nature, mais dans l’atelier de l’artiste. Cette feuille atteste de l’influence exercée sur l’art de Dürer par la peinture flamande et son sens inégalé du réalisme.
Ce burin est l’une des gravures les plus célèbres de Dürer. Ce chef-d’œuvre symbolise un tournant, puisqu’il montre l’aboutissement des recherches de l’artiste sur la représentation anatomique. Le dessinateur opère alors une synthèse entre la perfection de la sculpture antique et les recherches modernes de ses confrères italiens, notamment Jacopo de’ Barbari avec qui il travailla étroitement. Le jardin d’Éden est en revanche très influencé par la tradition germanique de représentation de la forêt.
Plus d’un demi-millénaire après sa réalisation, cette œuvre continue de susciter des commentaires contradictoires. Cette composition riche en symboles (instruments, astre, chauve-souris, anges) est une curiosité dans la production de Dürer. Tout comme la tonalité de la gravure sur cuivre, nimbée de mélancolie. L’œuvre est tout aussi exceptionnelle par sa qualité d’exécution. Le drapé de la robe de la femme semble ainsi presque tactile, et le clair-obscur est si délicat qu’il semble quasi pictural.
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Dürer, l’Européen
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°755 du 1 juin 2022, avec le titre suivant : Dürer, l’Européen