Le Städel Museum expose près de 300 œuvres permettant de replacer le principal artiste allemand de la Renaissance dans le contexte de son époque.
FRANCFORT-SUR-LE-MAIN - Cinq cents ans après sa mort, la popularité de l’artiste est toujours aussi forte en Allemagne : « Il suffit que le nom d’Albrecht Dürer apparaisse dans le titre d’une exposition pour que la foule afflue », confirme Almut Pollmer-Schmidt, co-commissaire de la très belle exposition que lui consacre le Städel Museum, à Francfort-sur-le-Main (Allemagne). Il faut dire que le peintre allemand n’a jamais vraiment quitté sa patrie ; son Portrait d’Elsbeth Tucher (1499, Museumslandschaft Hessen, Cassel) ornait les anciens billets de 20 Deutsche Mark, tandis que le célèbre motif des Mains jointes (v. 1507, Albertina, Vienne) orne toujours pierres tombales et cartes de condoléances.
L’exposition dépasse cependant largement le cadre de cette vénération personnelle. Elle en finit même avec l’image romantique du peintre génial et donc solitaire, en replaçant les travaux de Dürer dans le contexte artistique de son temps. Sur les 280 œuvres exposées, environ 190 sont signées de la main du maître. Les autres permettent de confronter son art à celui de ses inspirateurs, de ses contemporains et de ses suiveurs. Ce parti pris a le mérite de présenter le savoir-faire de l’artiste dans toute son étendue et sa diversité : si Dürer est principalement connu comme peintre et graveur, sa vocation première est le métier d’orfèvre, celui de son père. Cette importante période de formation, mêlant apprentissage, voyages et admiration pour le travail de Martin Schongauer, est largement détaillée dans la première partie de l’exposition. Elle éclaire toute la carrière du maître : de là vient son habileté comme graveur et sa capacité à s’exprimer aussi bien sur la toile que dans le métal.
Gloire immédiate
Réalisé en 1498, le cycle de gravures de l’Apocalypse apporte à Dürer une gloire immédiate. La section consacrée à cette création charnière permet d’en saisir toute l’importance. Exposées sur les cimaises comme des œuvres à part entière, les différentes pages montrent la hardiesse de leur auteur : le sens de la composition, le foisonnement des détails dépassent ce qu’obtenaient jusqu’alors les graveurs sur bois. Face aux feuillets, une version de l’ouvrage encore relié (Staatliche Museen zu Berlin, Berlin) rappelle que la forme même de l’œuvre – l’un des premiers véritables livres d’art – était également novatrice. Quant à l’exemplaire de Dresde (Sächsische Landesbibliothek), exposé juste à côté et dont les gravures furent mises en couleurs dès le XVIe siècle, il prouve que Dürer eut raison de toujours préférer le noir et blanc.
Si la question de l’atelier est assez rapidement évacuée, l’exposition s’attarde en revanche longuement sur les traités théoriques de Dürer. Au contact des artistes italiens, notamment Jacopo de Barbari, le maître s’intéresse à la représentation humaine et aux proportions idéales. Léonard étudie le canon masculin dans son Homme de Vitruve, Dürer est quant à lui le premier à théoriser les proportions du corps féminin, étudié en détail dans son Livre d’esquisses (v. 1507-1519, Sächsische Landesbibliothek, Dresde) et ses divers traités.
Organiser une exposition sur Dürer à Francfort pouvait difficilement se concevoir sans présenter le retable Heller, réalisé avec Grünewald à partir de 1509 pour un marchand de la ville. Les panneaux conservés sont aujourd’hui divisés entre plusieurs musées allemands, mais la fermeture pour travaux de l’Historisches Museum de Francfort a permis de les rassembler au Städel, entourés de nombreux dessins préparatoires. La fameuse esquisse des Mains jointes de l’Albertina est malheureusement absente, mais de magnifiques dessins, notamment les Pieds d’un apôtre agenouillé (v. 1508, Museum Boijmans van Beuningen, Rotterdam) sont exposés.
Très riche, l’exposition demande au visiteur une attention soutenue, récompensée dans les dernières salles par les trois célèbres gravures que sont Le Chevalier, la Mort et le Diable, Saint Jérôme dans sa cellule et La Mélancolie (Städel Museum, Francfort).
jusqu’au 2 février, Städel Museum, 2 Dürerstrasse, 60596 Francfort-sur-le-Main, tél. 49 69 605098 170, www.staedelmuseum.de, tlj sauf lundi, 10h-19h, jusqu’à 21h le jeudi et le vendredi. Catalogue en allemand ou en anglais, éd. Prestel, 400 p., 39,90 €.
Commissariat : Prof. Dr. Jochen Sander, conservateur responsable des maîtres anciens au Städel Museum
Nombre d’œuvres : environ 280
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Dürer et son temps
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Abonnez-vous dès 1 €Albrecht Dürer, Melencolia I (La Mélancholie), vers 1514, gravure, 24,2 x 18,9 cm, Städel Museum, Francfort. © Photo : Städel Museum/ARTOTHEK.
Albrecht Dürer, Saint Jérôme dans sa cellule, 1521, huile sur bois, 59,5 x 48,5 cm, Museu Nacional de Arte Antiga, Lisbonne. © Photo : José Pessoa/Museu Nacional de Arte Antiga, Direção-Geral do Património Cultural /Arquivo e Documentação Fotográfica.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°405 du 17 janvier 2014, avec le titre suivant : Dürer et son temps