« Expodrome » s’annonce comme une déambulation urbaine et atmosphérique, aux embranchements multiples. Éléments de
visite avec l’artiste et Angeline Scherf, commissaire de l’exposition.
Après deux ans d’absence, qu’est-ce qui vous a décidé à exposer à nouveau ?
Dominique Gonzalez-Foerster : J’ai fait une pause, pour voyager, faire d’autres choses. J’avais atteint un point limite et je me demandais même s’il y avait encore une pertinence à pratiquer l’exposition. Mais après toutes ces expériences hors-champ, je me suis dit que cela restait malgré tout le meilleur des laboratoires. L’exposition est plastiquement ouverte et peut entraîner avec elle tous les autres champs. Et l’excitation est revenue !
Le titre, « Expodrome », énonce à la fois l’exposition et les préoccupations spatiales de Dominique Gonzalez-Foerster ?
Angeline Scherf : C’est un titre qui retrace bien les axes forts de son travail. C’est une artiste qui travaille sur l’espace depuis le début de sa carrière. D’abord l’espace intime, puis un espace élargi à travers ses nombreux voyages et ses films. Et, évidemment, l’espace d’exposition. C’est ce que traduit ce titre : une sorte de rampe de lancement de ce que pourrait devenir une exposition.
Ce n’est pas une rétrospective et les objets n’y sont pas présentés de façon iconique. La définition du format est plus floue, mais réinterroge ce que peuvent être l’œuvre et l’exposition.
En sorte, comme une exposition d’expositions ?
D. G.-F. : Oui. La notion de laboratoire est poussée au carré. C’est-à-dire qu’on va trouver dans l’exposition des formes d’exposition limites : une sorte de son et lumière pour le Cosmodrome, un petit cinéma, une partie purement sonore et même une sortie de parcours à l’extérieur du musée.
En fait, chaque environnement tire le musée et l’exposition vers ses limites. De point limite en point limite.
A. S. : Comment délocaliser l’espace habituel de l’exposition ? Autrement dit, comment transformer l’espace du musée de manière à avoir une sensation de promenade, tout en restant sur place ?
Le lieu d’exposition peut être partout avec Dominique. Un lieu muséal peut devenir géographique, une jetée ou un solarium et un lieu extérieur peut devenir espace d’exposition, comme elle l’avait fait en imaginant un parc pour la Documenta 11 de Kassel en 2002. Elle dépayse l’environnement. Elle incite chacun à se percevoir plus fortement dans l’espace, à identifier plus intensément ses sensations. Et elle le fait en créant différents types d’espaces ou de paysages.
De quelle nature sont ces paysages ?
D. G.-F. : En fait, j’ai urbanisé l’espace du musée, en en modifiant l’échelle. Un peu comme si l’on était dans une de ces villes modernes qui m’ont toujours fascinée, comme Brasília ou Chandigarh. On sort véritablement du monde des objets.
J’ai imaginé des titres pour les différents espaces, des plans, une signalétique, des panneaux qui indiquent toutes ces formes d’exposition : panorama, solarium, cosmodrome, promenade, cinéma.
Expodrome, c’est aussi parler des champs explorés et des collaborations que génèrent ces explorations…
D. G.-F. : Je ne conçois pas l’art comme un jeu solitaire. Au contraire, c’est un terrain de jeu collectif. Depuis 2001, j’ai commencé un type de collaboration un peu différent de ce que j’avais pu faire jusque-là. Avec des gens qui ne viennent pas forcément du milieu de l’art. J’ai toujours aimé ça. Je me sentais à l’étroit dans le champ de l’art, du musée et de la galerie. Et j’ai voulu montrer cet élargissement des limites.
A. S. : C’est fondamental chez elle. Chacune de ses œuvres se présente comme une chorégraphie ou une partition avec un intervenant œuvrant sur un autre « terrain de jeu » que celui de l’art. Comme une série de duos, trios ou quatuors : le styliste Nicolas Ghesquière avec qui elle a travaillé pour Balenciaga et qui a imaginé avec elle un Solarium, Christophe Van Huffel, son complice, qui sonorise une Pluie Tropicale, Jay Jay Johanson pour la musique du Cosmodrome ou les programmations filmiques confiées à Philippe Parreno, Pierre Huyghe ou Ange Leccia.
C’est encore une manière d’interroger l’exposition, de traverser d’autres champs. De tester le point où l’identité de l’art subsiste.
Pour reprendre les termes d’Hans Ulrich Obrist dans le catalogue, quelle pourrait être la « boîte à outils » de Dominique ?
A. S. : Dominique est radicalement, irréductiblement expérimentale. Sa boîte à outils ne sera jamais fermée. Tout outil non signalé pourrait immédiatement y figurer. C’est quelqu’un qui est nourri de la littérature.
Dans le catalogue, Jean-Max Colard dit d’elle qu’elle est une « évadée de la littérature », et dans le même temps, c’est quelqu’un qui a une incroyable culture cinématographique : Godard, Antonioni, Fassbinder, Tarkovski, mais aussi Wong Kar-wai et Takeshi Kitano nourrissent son travail en profondeur.
Au fond, cet « éparpillement » est le meilleur conducteur de son travail ?
A. S. : Elle est d’une indépendance définitive. C’est une artiste qui a pris beaucoup de risques. C’est très impressionnant de voir tous les domaines qu’elle a infiltrés tout en revenant en permanence à sa pratique artistique. Architecture, musique, films, courts et longs métrages, commissariat d’expositions, scénographies, j’en oublie sûrement. Mais toujours avec une belle cohérence. Avec une indépendance farouche et aventureuse.
1965 Naissance de Dominique Gonzalez-Foerster à Strasbourg. 1982-1989 École supérieure des Beaux-Arts de Grenoble. École du Magasin de Grenoble. Institut des hautes études en Arts plastiques, Paris. 1994 Résidence à Moriya au Japon. 1996-97 Elle reçoit le Prix d’architecture contemporaine Mies Van der Rohe à Krefeld en Allemagne. Premier film réalisé en collaboration avec Ange Leccia. 2002 L’artiste obtient le prix Marcel Duchamp à Paris. 2003 Mise en image de La Tournée des grands espaces d’Alain Bashung. Design intérieur des Espaces Balenciaga (Paris-New York-Hongkong). 2006 Vit entre Paris et Rio de Janeiro.
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Dominique Gonzalez-Foerster, Angeline Scherf : “Tester les limites du musée et de l’exposition”?
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Abonnez-vous dès 1 €Informations pratiques « Dominique Gonzalez-Foerster », jusqu’au 6 mai 2007. Commissaires de l’exposition : Angeline Scherf avec Émilie Renard. Musée d’Art moderne de la Ville de Paris, 11, avenue du Président-Wilson, Paris XVIe. Métro : Alma-Marceau ou Iéna. Ouvert du mardi au dimanche de 10 h à 18 h, le jeudi jusqu’à 22 h. Tél. 01 53 67 40 00, www.mam.paris.fr
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°589 du 1 mars 2007, avec le titre suivant : Dominique Gonzalez-Foerster, Angeline Scherf : “Tester les limites du musée et de l’exposition”?