LONDRES / ROYAUME-UNI
La nouvelle aile Sainsbury du British Museum accueille une exposition d’envergure sur les Vikings. Si l’histoire des valeureux conquérants inspire l’exaltation, malgré la beauté des pièces, le parcours s’avère frustrant.
LONDRES - D’une exposition consacrée aux Vikings, le grand public attend sans aucun doute un frisson d’aventure et un souffle guerrier. Après avoir fait une queue interminable pour accéder à la toute nouvelle aile Sainsbury du British Museum, le visiteur risque cependant d’être un peu désappointé. Car refusant de sacrifier à la légende et au mythe (ici, nulle toile romantique célébrant les prouesses de ces pirates des mers), le parcours aligne dans de froides vitrines des monnaies, des armes et des pièces d’orfèvrerie qui reflètent, au-delà de leur virtuosité technique et de leur somptuosité, les vertus commerciales de ces navigateurs hors pair.
Fruit d’une collaboration étroite entre le musée britannique, le Musée national du Danemark et le Staatliche Museen de Berlin, l’exposition se concentre ainsi sur une période relativement brève : du VIIIe au XIe siècle de notre ère, soit l’âge d’or de cette expansion viking qui voit ces peuples du Nord essaimer de la mer Caspienne au Nord de l’Atlantique, de la Méditerranée au cercle arctique.
Bizarrement, c’est une impression d’uniformisation des formes et des décors qui ressort à la contemplation de ces objets sagement alignés dans les vitrines. Bercé – voire agacé – par une voix parlant la langue rocailleuse et heurtée de ces « princes des mers » (le vieux norrois), le visiteur est saisi d’admiration devant ces broches tapissées d’entrelacs et d’arabesques, ces lourdes chaînes et ces colliers dans lesquels se faufilent des pièces arabes, ces longilignes fibules qu’on croirait échappées d’un souk berbère, mais il est vite gagné par un certain ennui ! Sans doute la muséographie peine-t-elle à recréer la grandeur de cette aventure tant économique que spirituelle.
Seul le drakkar assure le spectacle
À partir du IXe siècle, c’est en effet un véritable déferlement viking qui s’abat sur tout le monde occidental. Avide de richesses et de territoires, ce peuple téméraire et guerrier quitte sa Norvège, sa Suède et son Danemark natals pour fendre les eaux glacées des mers et des océans à la rencontre d’autres coutumes, d’autres civilisations. Les razzias s’étendent bientôt des côtes de la Manche jusqu’au Portugal ! L’instrument de cette expansion en est aussi devenu le symbole : le drakkar. Le musée londonien expose ainsi l’un de ces bâtiments de guerre profilé à souhait, exhumé au Danemark en 1997 sur un site qui lui a donné son nom : Roskilde 6. Hélas, il ne subsiste de l’embarcation d’origine que 20 % de sa structure en bois de chêne, encastrée dans une armature en acier. Qu’importe ! Le visiteur appréhende matériellement l’effroi que devait produire, sur les populations, l’irruption de ce « monstre des mers ».
Tour à tour pillards ou commerçants au gré des opportunités, les Vikings excellent alors dans le troc, puis la négociation des biens les plus précieux. Les épices et la soie sont acheminées d’Orient par les fleuves russes ; l’or provient du Danube, les armes des royaumes francs ; le jais d’Angleterre et les vins du Rhin arrivent jusqu’aux ports scandinaves, qui exportent en contrepartie des esclaves, du poisson séché, du miel et des fourrures. La Norvège et le Groënland offrent enfin une belle production d’ivoire de morse, dans lequel seront taillées les plus belles pièces de jeu d’échec, comme celui de Lewis découvert aux îles Hébrides. Assurément l’un des fleurons du British Museum et de cette exposition.
Ces « traders » avant l’heure qui utilisent l’argent au poids comme monnaie d’échange ne dédaignent pas pour autant les espèces étrangères, comme l’atteste ce trésor viking trouvé près de Harrogate (Yorkshire, Angleterre) en 2007 : on y a découvert, pêle-mêle, des pièces irlandaises, ouzbeks et même afghanes ! Comme les prémices d’une mondialisation.
Mais si l’exposition londonienne laisse quelque peu sur sa faim, c’est bien dans l’évocation superficielle des croyances et de la religion. Païens et polythéistes, les Vikings adoraient une foule de divinités, dont Odin, le dieu du savoir et de la guerre, son fils Thor, dont le nom signifie « tonnerre », Freyr, le dieu de la fertilité et sa sœur Freyja, déesse de la beauté régnant sur l’armée de ses amazones guerrières immortalisées sous le nom de Walkyries. Tout au plus quelques menues statuettes et amulettes en signalent l’existence. Ces « pillards barbares » vont cependant adorer bientôt un nouveau Dieu : le Christ sur la croix, magnifié par cet orfèvre anonyme du Jutland, au Danemark. Un chef-d’œuvre du XIIe siècle, qui évoque irrésistiblement notre art roman…
Commissaires : Gareth Williams, conservateur de numismatique de la section Haut Moyen Âge du British Museum ; Peter Pentz, conservateur de la section préhistoire du Musée national du Danemark de Copenhague, Matthias Wemhoff, directeur du Musée de la préhistoire et des temps protohistoriques de Berlin.
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Des Vikings bien ternes au British Museum
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 22 juin, British Museum, The Sainsbury Exhibitions Gallery, Great Russell St, Londres, Royaume-Uni tel 44 20 7323 81 81
www.britishmuseum.org
catalogue en anglais, éditions du British Museum, 288 pages, 25 £ (30 €).
Légende photo
Pions du jeu d'échec dit de Lewis, Uig, Lewis, Ecosse, fin du XIIe siècle, ivoire de morse, British Museum, Londres. © The Trustees of the British Museum.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°412 du 25 avril 2014, avec le titre suivant : Des Vikings bien ternes au British Museum