Au Grand Palais et au Musée des années 30, deux expositions d’envergure célèbrent simultanément la figure de l’animal dans l’art, histoire d’en démontrer l’immense variété comme la singulière permanence, la bestialité comme l’humanité.
Souvent, l’animal est là. Aux pieds du maître, au loin dans le paysage, dans les Noces de Cana (1562-1563) ou dans l’Enterrement à Ornans (1849-1850). Qu’il dorme ou qu’il épie, l’animal peuple les grandes heures et les grandes toiles, compagnon docile, témoin silencieux. Parfois, l’animal n’est plus le protagoniste discret d’une scène plus ample, il en est l’acteur, le sujet. C’est lui et lui seul que l’on veut représenter. C’est par lui que l’on réussit à dire ce qui, sinon, se refuserait : la tristesse, la violence, la fidélité, la détermination. Ou la mort, celle qui nous scrute, comme chez Gloria Friedmann (Les Représentants, 1992).
Rugir
Deux expositions explorent ce sujet pour le moins périlleux puisque, si l’animal constitue un thème séduisant, la démonstration peut s’avérer complexe. Mieux, elle doit s’avérer complexe. Car c’est seulement en affrontant la grande diversité d’un tel corpus que ressortiront son intérêt comme sa force.
Au Grand Palais, Emmanuelle Héran, bien qu’elle reprenne le noyau d’œuvres présenté à Roubaix lors de l’exposition « Le zoo d’Orsay » (2008), élargit son exploration de la représentation animale en la faisant démarrer à la Renaissance. La superbe scénographie ne parvient pas à masquer les silences, voire les lacunes, de ce parcours qui, pour être trop vaste, en devient généraliste. Ni squelette ni putrescence, aucune nature morte ni trace de sang.
Et les prémunitions du catalogue ne suffisent pas à se contenter de ce seul panorama édulcoré, fût-il ponctué par le Rhinocéros cuirassé (1515) de Dürer et les saisissants Paons, mâle et femelle (1681) de Melchior d’Hondecoeter. Un écueil que la manifestation roubaisienne, par sa chronologie resserrée et par la fraîcheur des analyses, avait évité. Un écueil qui interdit aujourd’hui de rugir de plaisir.
Galoper
Au Musée des années 30, à Boulogne-Billancourt, Frédéric Chappey présente quant à lui cent sculptures animalières, de la fin des années 1910 jusqu’à nos jours. Traversée par un fantasme d’exactitude, habile à varier les textures et à imiter les dermes, la sculpture s’empara souvent de l’animal.
Toute la faune est là. Tous ces corps en morceaux que débite l’imagination de l’artiste, prompte à couper les têtes, celle d’un Cobra (1934) par Maurice Prost, celle d’un Taureau (1937) par Paul Jouve. L’animal devient le lieu de synthèses et de dénaturations étonnantes, que l’on veuille observer la délicieuse Forme animale (1921) de Jacques Lipchitz ou L’Âne et son ombre (vers 1938) de Jean Lambert-Rucki.
Les deux expositions l’attestent : l’animal cristallise la force, la puissance et, avec, une esthétique superlative qui voit la vitesse, l’énergie et la robustesse devenir des figures de l’excès. Au pouvoir dynamogène du Grand Cheval (1914-1955) de Raymond Duchamp-Villon répond l’immobilité de l’Éléphant (1637) de Rembrandt, ce mastodonte immémorial avec son étourdissante peau parcheminée. Aux muscles faisant saillie du Cheval caracolant (1881-1890) par Degas répondent les formes soudainement eurythmiques du Sanglier (1926) par Pompon.
Singer
Décliné ces images de l’animal, passé en revue leur extrême polysémie, une chose subsiste, ineffable : leur ressemblance avec la figure humaine. Car, bien entendu, c’est ici la vraie affaire. Derrière La Chouette en colère (1951) de Picasso ou La Tête de mouton (1974) de Moore, le regardeur découvre, par un renversement spéculaire, un peu de lui, ou de son voisin. Un peu de ses doutes, de ses peurs et de ses joies.
Ces bêtes – rhinocéros, girafes, éléphants – que l’on exhiba avec fièvre, le fit-on par scrupule zoologique ou par souci anthropologique ? N’illustrait-on pas, avec ces griffes et ces plumes, l’animalité de la Nature humaine, du nom d’une œuvre de Christian Gonzenbach (2007) ? Ne venait-on pas rappeler, avant les freaks et les parades humaines, que l’homme est un loup pour l’homme ? Que l’animal, comme nous, a partie liée avec l’effroi et la cruauté ? Qu’il est habité par une incorruptible monstruosité ?
Curieux animal que l’artiste qui aime, comme le primate, à singer le visible, à le re-produire (Alexandre Gabriel Decamps, Intérieur d’atelier, 1833). Cet artiste qui, le soir venu, sort sur les toits ou dans les rues, là où finit la nuit. Noceur. Nyctalope, peut-être. Comme le Chat (1951), ce portrait déguisé de Giacometti.
- « Beauté animale », jusqu’au 16 juillet 2012. Galeries nationales du Grand Palais. Ouvert tous les jours sauf le mardi de 10 h à 20 h. Nocturne le mercredi jusqu’à 22 h. Tarifs : 12 et 8 euros. www.rmn.fr
- « Cent sculptures animalières – Bugatti, Pompon, Giacometti », jusqu’au 28 octobre 2012. Musée des années 30 à Boulogne-Billancourt. Ouvert du mardi au dimanche de 11 h
à 18 h. Tarifs : 6 et 4 euros.
www.annees30.com
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Des bêtes d'expositions
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Abonnez-vous dès 1 €De nombreux musées présentent des œuvres traitant de l’animal, mais rares sont ceux qui portent un regard aussi singulier sur la bestialité que le Musée de la chasse et de la nature. Héritier des cabinets de curiosité il fonctionne comme un « cabinet naturaliste », une sorte d’encyclopédie regroupant des informations servant à l’observation et à la traque des animaux sauvages, comme les empreintes et les excréments. Le musée expose ainsi l’animal sous plusieurs facettes : naturalisé, sous la forme d’œuvre d’art et par le biais d’éléments d’interprétation que le visiteur doit dénicher dans la scénographie. Ses collections, s’échelonnant du Moyen Âge à nos jours, témoignent de l’évolution de la perception de la faune et de la place de l’animal dans la civilisation occidentale. Le musée met ainsi en exergue la diversité des représentations de l’animal ; tour à tour magnifié, traqué ou mis à mort, comme dans la pièce de Desportes qui porte un titre très explicite quant à la finalité de la chasse : Venaison prête à mettre en broche. Vanité ultime du chasseur, l’animal peut aussi être exhibé au sein d’une collection de trophées. Une galerie dans laquelle s’est glissé un intrus, une œuvre contemporaine de Nicolas Darrot représentant une tête de sanglier dont les yeux suivent le visiteur, provocant une sensation de surprise sinon de malaise.
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°647 du 1 juin 2012, avec le titre suivant : Des bêtes d'expositions