Créée en 1847, la marque de joaillerie rendue célèbre par Louis Cartier, petit-fils du fondateur de la maison, va trouver un nouvel élan avec l’arrivée d’une créatrice, Jeanne Toussaint, et de son univers animalier.
Le cliché du baron Adolph de Meyer a participé à la naissance d’une icône : une garçonne vêtue à l’orientale toise le photographe, sûre d’elle et consciente de son charme ravageur. C’est la fameuse « panthère » dont le Tout-Paris murmure qu’elle est l’ambassadrice du bon goût et la muse de Louis Cartier. De cet animal fascinant, Jeanne Toussaint a fait son emblème ; en l’arborant en accessoires, mais surtout en affichant un mode de vie sulfureux ; celui d’une séductrice émancipée prête à sortir les griffes pour s’imposer dans un monde d’hommes.
De la bohème parisienne à la rue de la Paix
De la jeunesse de Jeanne Toussaint (1887-1978), on ne sait presque rien, hormis qu’elle a grandi en Lorraine dans une famille travaillant dans le textile, qui lui a transmis le sens de l’élégance et le goût des matériaux. Jeune femme indépendante et audacieuse, elle s’installe à Paris où elle fréquente un cercle artistique et mondain où se côtoient héritiers, peintres de la Belle Époque et l’antiquaire Charles Michel, auprès duquel elle se forge une solide connaissance des arts décoratifs. Elle mène une vie très libre et multiplie, dit-on, les aventures avec de riches compagnons qui la couvrent de bijoux et lui font rencontrer la haute société.
Mêmes volonté farouche et goût du luxe, tout la destine alors à croiser le chemin d’une créatrice de mode qui commence à faire parler d’elle : Coco Chanel. Pour son amie, Jeanne réalise des sacs à main qui remportent un franc succès. Louis Cartier la remarque et l’engage en 1918 comme collaboratrice chargée des accessoires féminins. Parallèlement, il l’initie aux secrets de la joaillerie.
Le goût Toussaint fait évoluer le style du joaillier
Lorsqu’il quitte la direction de Cartier Paris en 1933, Louis nomme Jeanne directrice du département haute joaillerie. Une nomination audacieuse pour l’époque, car non seulement elle ne possède pas de formation de joaillière, elle ne fait pas partie de la dynastie Cartier, mais surtout c’est une femme dans un univers très masculin. Son arrivée fait souffler un vent nouveau sur la maison ; le style Cartier évolue rapidement tant dans l’esthétique que dans la nature des pièces réalisées. Baptisé « joaillier des rois, roi des joailliers », Cartier s’était imposé dans la création de bijoux cérémoniels répondant à des rites aristocratiques, comme le diadème, une pièce d’inspiration encore néoclassique.
Avec une grammaire toute différente, Jeanne développe des bijoux plus intimes, comme la broche dont l’utilisation va de pair avec l’essor du vêtement féminin moderne par excellence : le tailleur. Une clientèle différente s’affirme, la Café Society. Cette jet-set des années folles, qui réunit de riches héritières et des artistes, devient sa clientèle de prédilection. Elle imagine des bijoux qui magnifient le caractère flamboyant de ces femmes, comme sa célèbre panthère sensuelle et féroce.
Ce bestiaire, manifeste d’une féminité triomphante, Jeanne le traite de manière expressive et fastueuse ; ses félins sont pavés d’une multitude de pierres et juchés sur d’imposants cabochons de saphir ou d’émeraude. Une joaillerie à effets emblématique de ce que l’on nomme le « goût Toussaint ». Ce style dynamique et exubérant, nourri d’inspirations éclectiques, fait la part belle à l’utilisation de l’or jaune et à la juxtaposition de pierres de couleurs variées. Pendant plus de trente ans, Jeanne Toussaint impose sa griffe chez Cartier et transforme en profondeur l’image de la prestigieuse maison avec des créations qui figurent aujourd’hui encore parmi les incontournables de la marque.
Toutes les femmes ne sont pas des panthères et certaines préfèrent à ce bestiaire sauvage une faune plus discrète, comme l’oiseau ou la libellule. Sous l’impulsion de Jeanne Toussaint, la représentation des animaux ailés évolue vers un plus grand dynamisme. Signe du goût de la créatrice pour le mouvement, les ailes de la libellule sont ainsi montées sur des ressorts de façon à ce qu’elles vibrent au moindre geste des élégantes.
L’emblème
Intrinsèquement liée à la personnalité de sa créatrice, Jeanne Toussaint, qui en avait fait son emblème, la panthère s’impose comme la signature de Cartier. Si les animaux sauvages ne sont pas nouveaux dans l’art du bijou, le caractère sensuel, féroce et altier de ce félin est, lui, novateur. Son traitement naturaliste, très expressif, tranche avec la tendance à l’épure alors en vogue dans la joaillerie et rencontre un succès immédiat.
L’insoumission
Femme libre et créatrice insoumise, Jeanne Toussaint demande en 1940 aux ateliers de réaliser un oiseau aux couleurs du drapeau français : la tête bleue, les ailes blanches et le corps rouge. Cette créature enfermée dans une cage, allégorie alors très populaire de la France occupée, lui vaut d’être arrêtée par la Gestapo. À la Libération, l’oiseau réapparaît, transformé, les portes de la cage s’ouvrent et il chante fièrement, juché sur son perchoir.
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Cartier : un étincelant bestiaire. Jeanne Toussaint
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Le Musée de Taipei orchestre la rencontre entre la joaillerie de l’Orient et celle de l’Occident. Du 9 juin au 9 septembre, des pièces exceptionnelles de la dynastie Qing, la dernière dynastie à régner sur la Chine jusqu’en 1912, sont exposées au coté de plus de 200 créations Cartier, maison connue pour être « le joaillier des rois et le roi des joailliers ». www.npm.gov.tw
La Biennale des antiquaires.
Le joailler Cartier sera présent à la XXVIe Biennale des antiquaires qui se tiendra au Grand Palais du 14 au 23 septembre 2012. www.sna-france.com
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°647 du 1 juin 2012, avec le titre suivant : Cartier : un étincelant bestiaire. Jeanne Toussaint