Dans un équilibre entre musique, politique et arts plastiques, la Philharmonie révèle la facette sociale et politique de ce genre musical.

Paris. Toutes les 45 minutes, les salles d’exposition de la Philharmonie de Paris diffusent la célèbre chanson « Saturday Night Fever » (1977) : sur tous les écrans apparaît un extrait du film éponyme, où John Travolta danse la chorégraphie qui l’a révélé. Avec quelques images d’archives, c’est la seule occurrence du film qui a fait connaître le disco à travers le monde, comme le précise le commissaire et spécialiste de l’histoire de la musique Jean-Yves Leloup. Il ajoute que « l’exposition n’est pas un hommage au film ou aux stars du disco, car le but est de montrer le contexte social et politique ainsi que l’influence durable du disco, y compris dans le domaine de l’art ». De nombreuses œuvres d’art des années 1970 aux années 2020 émaillent en effet le parcours, dont plusieurs variations de la boule à facettes qui donnait aux clubs de l’époque leur style si distinctif. Dès l’entrée figure une sculpture de boules à paillettes en forme de molécule d’éther (Jeanne Susplugas), rappelant que « le disco, c’était aussi une manière d’échapper à la réalité, par la danse et la drogue ». Pour une exposition sur la musique, « Disco » propose finalement plus d’œuvres d’art et de documents imprimés que de musique, car les commissaires privilégient le dialogue entre musique et création plastique.

Le parcours n’est d’ailleurs ni linéaire ni historique, même si les débuts du disco sont illustrés par des archives photographiques rarement exposées (Michael Abramson). La salle principale attire les visiteurs par sa bande-son énergique où se mêlent compositions des années 1970-1980 et morceaux plus récents : comme avec les œuvres d’art, il s’agit de « montrer comment l’esthétique du disco s’est diffusée à travers le temps, avec de multiples réinterprétations », selon Jean-Yves Leloup. Si la scénographie de cette salle joue avec les marqueurs stylistiques du disco tels les motifs psychédéliques, les néons et les paillettes, l’ensemble reste assez sobre, mais le son parfois fort peut déranger les visiteurs qui souhaitent se concentrer sur les photographies dans les autres salles. Outre des séries de Tom Bianchi et Kwamé Brathwaite, une vidéo de 1979 documente la « Disco Demolition Night » à Chicago : « Cette destruction publique de disques de disco est l’événement qui a amorcé son déclin aux États-Unis, face au rock », explique le commissaire. Le contexte sociopolitique est donc très bien présenté, des premiers clubs marginaux de New York en 1972 où l’influence de la soul afro-américaine pesait encore aux clubs ultra-branchés de 1978 fréquentés par de jeunes homosexuels. Car l’exposition montre que le disco a accompagné les luttes pour les droits des minorités puis contre le sida, à travers des œuvres de Keith Haring ainsi que des sérigraphies de Warhol et des portraits de célébrités afro-américaines (Diana Ross). Derrière les paillettes et la danse effrénée se cachait une dure réalité politique, révélée ici sous un aspect collectif plutôt que par le biais de destins individuels.

L’exposition peut cependant se lire à plusieurs niveaux, comme le précise le commissaire : « Les visiteurs peuvent déambuler, écouter des mix de l’époque avec des casques et regarder des clips, ou lire les cartels détaillés et les textes de salle. » Les cartels sont effectivement très fournis et placent chaque document ou œuvre en perspective, notamment les archives photographiques des années 1970. Une lecture plus esthétique est également possible, grâce aux costumes d’époque qui disent la révolution stylistique à l’œuvre. De même, deux séries de photographies, l’une par François Prost, l’autre par Antonio La Grotta, illustrent l’architecture typique des discothèques des années 1990 de France et d’Italie, dont les célèbres Macumba. Se dessine en creux un portrait des zones périurbaines où la discothèque était le seul lieu de socialisation. Si les discothèques étaient « un théâtre d’illusion », l’exposition reste cependant bien ancrée dans la réalité historique du disco, et met en valeur l’aspect collectif de cette culture populaire.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°651 du 14 mars 2025, avec le titre suivant : Derrière les paillettes du disco