Avant de pénétrer dans les espaces réservés à l’exposition, les visiteurs pourront avoir une idée des fameux albums que Delacroix avait pris soin d’emporter au départ de Paris et dont quatre sont demeurés intacts, trois d’entre eux étant conservés au Musée du Louvre et le quatrième appartenant au Musée Condé à Chantilly.
Leur fragilité extrême interdisant de trop fréquentes manipulations, c’est au travers de leur récente édition en fac-similé que les pages les plus significatives de chacun de ces albums sont présentées, en guise d’introduction à l’exposition, selon un schéma permettant de suivre les principales étapes du voyage.
La galerie couverte
La première partie, qui s’organise à l’intérieur d’une galerie couverte, est tout naturellement consacrée au séjour de Delacroix au Maroc, évoqué par une cinquantaine de dessins, aquarelles et pastels, ainsi que par l’une des rares petites peintures exécutées sur place (n° 50).
Qu’il s’agisse de feuilles réunissant des croquis rapidement esquissés à la mine de plomb ou à la plume, avec des rehauts plus ou moins soutenus d’aquarelle, ou bien d’études réalisées avec un soin extrême, comme si Delacroix avait à ce moment-là envisagé de les transposer immédiatement sur la toile, ce sont de précieux témoignages de la manière avec laquelle le peintre, peu à peu, a organisé son répertoire de formes et de couleurs.
Dans le premier cas, quelques traits de crayon ou de plume, agrémentés de délicates touches colorées suffisent à restituer aussi bien l’allure d’un personnage venu poser près de Delacroix (n° 3 et 4, Marocain de Tanger debout et assis) ou remarqué par celui-ci au cours de ses allées et venues (n° 5 et 6, Études d’Arabes à cheval, n° 11, Sept études d’Arabes, n° 18, Deux études d’un jeune Arabe), tout comme les particularités d’une architecture ou d’un décor, les mouvements de la foule déambulant dans les rues de Tanger (n° 10, Procession à Tanger), les détails des vêtements et des parures (n° 24, Mariée juive à Tanger, n° 25, Juive marocaine assise), les différents plans d’un paysage accidenté, la richesse des décors intérieurs (n° 44, Portes et baies d’une maison mauresque), les contrastes des pans d’ombre et de lumière sur les façades des maisons (n° 39, Maison à Tanger) ou les pentes d’une colline (n° 33, Paysage du Maroc avec des collines boisées).
Dans le second cas, à partir d’une esquisse préliminaire à la mine de plomb, Delacroix utilise l’aquarelle avec une maîtrise étonnante, jouant avec la “réserve” du papier pour souligner les couleurs vives d’un tapis, d’une tenture murale, rompant la blancheur éclatante des costumes par la ligne élégante et fine d’un fusil au noir brillant (n° 17, Jeune Arabe debout tenant un fusil noir). Et l’on découvre parfois, le long du bord de la feuille, l’essai des tons qui ont servi à l’artiste pour composer ces pages vibrantes (n° 33, Jeune Arabe dans son appartement).
Le petit nombre d’œuvres précisement datées a conduit à adopter un accrochage non pas chronologique mais thématique. Sur les parois aménagées le long de la galerie à gauche, a été groupé l’essentiel des études de personnages, exécutées avec une combinaison de plume, de mine de plomb ou de crayon noir, rehaussée d’aquarelle et parfois soutenue à la sanguine. Sur le panneau situé à droite, les croquis de figures ou de scènes de rue offrent différents témoignages de cette écriture rapide qui permit à Delacroix de ne rien oublier de ce qu’il découvrait au cours de ses promenades en ville ou bien d’une étape à l’autre du voyage entre Tanger et Meknès.
Viennent ensuite les études d’architecture, extérieure ou intérieure, puis les paysages où dominent des vues des environs de Tanger et de Meknès, sous des éclairages souvent contrastés.
Le cabinet d’art graphique
Dans le prolongement de la galerie des dessins, un petit cabinet d’art graphique met à l’honneur sept des dix-huit aquarelles que Delacroix offrit au comte de Mornay comme pour immortaliser les six mois passés ensemble et qui, à l’origine, étaient contenues dans un recueil dont la présentation ne peut malheureusement être reconstituée que de façon approximative.
Le rappel précis de certaines étapes (n° 52, Halte des cavaliers arabes aux environs de Tanger) alterne ici avec les portraits des principaux protagonistes marocains (n° 51, Amin Bias, ministre des Finances et des Affaires étrangères) et les scènes de la vie quotidienne (n° 54, Soldats endormis dans un corps de garde, n° 55, Arabes sur un marché, n° 57, Un Coulouglis et un Arabe).
À son retour en France, Delacroix refait la composition de plusieurs de ces œuvres pour les transposer sur la toile. C’est le cas notamment de l’aquarelle représentant une fantasia, accrochée non loin du tableau de même sujet appartenant au Musée Fabre à Montpellier. La confrontation des deux scènes illustre clairement le processus créatif de Delacroix, qui ne se contente pas de reproduire littéralement la scène illustrée par l’aquarelle mais en donne une version beaucoup plus synthétique, centrée sur la chevauchée ardente des cavaliers.
Les aquarelles offertes au comte de Mornay
À mi-chemin entre les dessins pris sur le vif et les peintures exécutées au retour du Maroc, les aquarelles offertes au comte de Mornay permettent de suivre l’évolution du travail de Delacroix, dès lors que la transcription exacte de la réalité cède le pas à une recomposition où l’imaginaire l’emporte peu à peu sur le souvenir précis. Trois de ces aquarelles n’avaient jusqu’alors jamais été montrées à Paris (n° 52, 54, 55).
Les grands tableaux
La troisième partie, centrée à juste titre sur le grand tableau du Sultan du Maroc (n° 84), exposé au Salon de 1845 et prêté par le Musée des Augustins à Toulouse, regroupe une quarantaine d’œuvres – peintures, dessins, gravures – réalisées entre 1832 et 1863, à partir des images que Delacroix conserva dans sa prodigieuse mémoire.
Depuis les Exercices militaires des Marocains et Une rue à Meknès, peints en 1832 (n° 58 et 59) jusqu’aux Chevaux à l’abreuvoir de 1862 (n° 103), ce sont une suite de témoignages exceptionnels sur l’une des étapes fondamentales de la carrière de Delacroix qui sont ainsi présentées, avec une prédominance de scènes harmonieusement rythmées par l’alternance de zones lumineuses et sombres (n° 59, Une rue à Meknès) ou le savant agencement des groupes de personnages (n° 69, Le Kaïd, chef marocain), sur des sujets dynamiques et violents (n° 102, Chevaux se battant dans une écurie).
Parmi les peintures exposées, on retiendra sans doute tout naturellement celles qui passèrent rapidement à la postérité grâce au soutien d’une critique guère encline cependant à prodiguer ses éloges envers un artiste “dérangeant” ou à l’enthousiasme de certains amateurs, mais il conviendrait également de s’intéresser aux œuvres qui furent délibérement écartées des présentations officielles du Salon par un jury déconcerté par leur facture apparemment relâchée.
C’est le cas par exemple du Campement au Maroc (n° 74), refusé au Salon de 1839 parce que son éclairage lunaire était incompatible avec l’idée, couramment reçue, d’un pays perpétuellement inondé de soleil, ou encore d’un Guerrier près d’un tombeau (n° 71), également refusé à ce même Salon, à propos duquel certains journalistes privilégiés ayant pu l’entrevoir n’hésitèrent pas à maudire un jury par trop frileux.
Pour cette troisième partie, où viennent s’intercaler le long de la façade côté Seine deux cabinets graphiques, la présentation suit à peu de chose près la chronologie des tableaux, depuis la Fantasia de Montpellier jusqu’aux Chevaux à l’abreuvoir de Philadelphie. Dans le premier cabinet graphique, sont regroupés les dessins et les gravures que Delacroix exécuta à partir de 1833 d’après les croquis pris sur le motif au cours de ce voyage. Dans certains cas, la même scène se décline à l’aquarelle et à l’eau-forte, comme par exemple les Muletiers de Tétouan où la version gravée comporte quelques variantes dans l’organisation des personnages.
Le second cabinet graphique est plus particulièrement consacré aux études préparatoires pour le grand tableau du Sultan du Maroc. La présentation permet de suivre l’évolution de la composition envisagée au début par Delacroix et montre à quel moment le peintre choisit de donner au seul portrait du Sultan et de sa suite un espace plus approprié à la majesté de la scène.
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Delacroix, le voyage au Maroc : le parcours de l’exposition
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°7 du 1 octobre 1994, avec le titre suivant : Delacroix, le voyage au Maroc : le parcours de l’exposition