Éditées par ses héritiers, les cires laissées par le peintre interrogent sur son rapport à la sculpture.
ROUBAIX - En 1881, lors de la sixième exposition impressionniste, après quelques jours d’attente face à une vitrine vide, la presse peut enfin découvrir la première sculpture exposée par le peintre déjà célèbre qu’est Edgar Degas (1834-1917). La Petite danseuse de 14 ans (Paris, Musée d’Orsay) suscite d’emblée un scandale retentissant. Le réalisme de cette grande cire, dotée de vrais cheveux et habillée d’un corset de lin et d’un jupon de gaze, évoque le milieu interlope de la danse et son corollaire de l’époque, la prostitution. L’usage même de la cire rappelle les sculptures médicales de foire exhibant les horreurs des maladies vénériennes. La polémique se déchaîne à tel point que Degas n’exposera plus jamais publiquement aucune sculpture. Pourtant, lorsque l’artiste meurt en 1917, ses héritiers découvrent une centaine de cires dans son vaste atelier-appartement du boulevard de Clichy, à Paris. Exclues des huit vacations dispersant la succession, soixante-douze de ces pièces seront finalement fondues en bronze chez Hébrard, après de longs débats internes à la famille. Avant leur départ de l’atelier, la plupart des cires sont photographiées, en janvier 1918, par Gauthier.
Ces documents extraordinaires, dont l’une des deux séries complètes conservées au Musée d’Orsay est présentée dans l’exposition « Degas sculpteur » à La Piscine de Roubaix (Nord), révèlent la singularité de la démarche de Degas. Les petites cires modelées y sont renforcées d’étais métalliques bricolés pour tâcher de faire tenir en équilibre ces esquisses aux postures improbables, souvent constituées d’éléments hétérogènes collectés dans l’atelier. Sculptant comme un peintre, Degas semble étudier par ce biais la mise en scène de ses tableaux ou de ses pastels. « À partir de 1895, la sculpture devient aussi une alliée précieuse quand sa vue décline », précise Bruno Gaudichon, l’un des commissaires de l’exposition. Selon des propos tenus en 1897 et rapportés par le critique Thiébaut-Sisson en 1921, Degas aurait ainsi parlé de ces sculptures comme « des exercices pour [se] mettre en train, du document, sans plus ».
Élégante scénographie
Le peintre aurait-il accepté que ces œuvres fassent l’objet d’une édition commerciale ? « La réalité est peut-être plus ambiguë, poursuit Bruno Gaudichon. Car certaines pièces ont été manifestement préparées pour des moulages dont le projet d’édition a été finalement abandonné. » La fonte a toutefois fait disparaître tout l’attirail d’armature. « C’est un peu comme supprimer la mise au carreau ou les repentirs sur un dessin », reconnaît le commissaire. Mais l’attention portée aux fontes, travaillées sans aucune retouche ou restauration préalables sous la direction du fondeur Albino Palazzolo, a permis de produire des sculptures d’une très grande qualité.
Réapparues dans les années 1950 dans l’atelier Hébrard, les cires originales ont été vendues au collectionneur américain Paul Mellon qui fera don de cinq pièces aux musées français. Elles sont aujourd’hui trop fragiles pour être exposées. Étonnamment, c’est la première fois qu’un musée français – contrairement aux États-Unis – consacre une exposition à ce sujet, révélé en 1991 par les travaux d’Anne Pingeot. Le Musée d’Orsay a accepté de jouer le jeu et de prêter la série originale qu’il conserve – vingt-deux ont été éditées –, ainsi que la Petite danseuse de 14 ans. L’élégante scénographie met en valeur cet œuvre sculpté qui reprend les thèmes de prédilection du peintre, tels qu’ils ont été gravés par Georges William Thornley en 1888 : portraits, chevaux (une superbe vitrine les met en perspective avec l’une des sources du peintre, les photographies de Muybridge), femmes à leur toilette et danseuses… Cette exposition procure donc une occasion rare, qui ne devrait pas se représenter de sitôt, d’apprécier pleinement ces sculptures d’une très grande liberté.
Jusqu’au 16 janvier, La Piscine, 23, rue de l’Espérance, 59100 Roubaix, tél. 03 20 69 23 60, www.roubaix-lapiscine.com, les 8 et 9 janvier 11h-18h, du 11 au 16 janvier 11h-20h. Catalogue, éd. Gallimard, 256 p., 39 euros, ISBN 978-2-0701-3077-1
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Degas en volume
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Abonnez-vous dès 1 €Commissariat : Catherine Chevillot, conservatrice en chef au Musée d’Orsay (Paris) ; Édouard Papet, conservateur en chef au Musée d’Orsay ; Bruno Gaudichon, conservateur en chef au Musée d’art et d’industrie de Roubaix
Scénographie : Jean-Étienne Grislain et Thibault Marca
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°338 du 7 janvier 2011, avec le titre suivant : Degas en volume