À l’époque baroque, les symboles sont omniprésents. Une exposition au Domaine départemental de Sceaux revient sur l’importance du genre allégorique, et donne les clés pour le comprendre.
Genre le plus prisé de la peinture au XVIIe siècle, l’allégorie connaît un essor spectaculaire et se répand comme une traînée de poudre dans les cabinets d’amateurs, mais surtout dans le grand décor qui vit son apogée à la faveur des innombrables chantiers de construction de palais et d’hôtels particuliers en France. Dans les cercles érudits, il est en effet de bon ton d’orner ses murs de ces rébus visuels, dont l’élucidation aiguise la sagacité des visiteurs. Laurent de La Hyre, l’un des artistes les plus en vue de l’époque, se fait le chantre de ces dissertations imagées. Il conçoit pour l’hôtel Tallemant un cycle iconographique foisonnant composé des sept allégories des arts libéraux, dont L’Astronomie, qui constitue un des sommets du genre. La science est reconnaissable à son compas, sa sphère armillaire, son cadran solaire portatif ou encore son calendrier lunaire. Tandis que son manteau bleu évoquant le firmament étincelle grâce à l’utilisation massive de pigments purs de lapis-lazuli.
D’aussi loin que l’on s’en souvienne, le Temps a toujours été représenté sous les traits d’un vieillard, le plus souvent nu, doté d’ailes et d’une barbe. Dès l’Antiquité, les hommes ont forgé des symboles afin de maîtriser des concepts inquiétants, tels que le temps, la mort et les forces terrestres. Ce goût pour le symbole a engendré quantité d’images codifiées, plus ou moins faciles à comprendre. Afin de clarifier ce langage puisant dans des sources variées allant des hiéroglyphes aux emblèmes médiévaux, l’érudit italien Cesare Ripa publie en 1593 un manuel à destination des artistes. Cet ouvrage connaît une diffusion extraordinaire et devient la bible des peintres, dessinateurs et sculpteurs jusqu’au XIXe siècle. Cet engouement pour l’allégorie, c’est-à-dire une figure humaine ou animale tenant des attributs évoquant un concept ou une notion, culmine à l’époque baroque. Les humanistes du XVIIe siècle voient en effet dans ces images parlantes la concrétisation de leur ambition ultime : transcender la matière et élever l’esprit.
Rare genre allégorique encore familier de nos contemporains, la vanité rencontre un succès retentissant à l’époque baroque. Il s’agit d’un des genres les plus riches en allégories en raison de sa finalité, car son but est de faire réfléchir le spectateur sur sa condition de mortel. D’où son autre désignation : le memento mori, littéralement « rappelle-toi que tu vas mourir ». Œuvre à portée méditative et philosophique, la vanité abonde ainsi en références plus ou moins évidentes sur la brièveté de la vie terrestre et la futilité de ses plaisirs. La superbe toile de Simon Renard de Saint-André est un modèle du genre, avec sa profusion de symboles : le crâne, évidemment, et la bougie qui s’éteint mais qui est encore incandescente, rappelant l’instant du trépas. Une gravure évoque le Jugement dernier, tandis que le papillon renvoie à la résurrection. Enfin, le coquillage vide est une allusion à l’enveloppe charnelle, tandis que la vanité du plaisir sensible est évoquée par l’ouïe, matérialisée par les instruments de musique.
L’Iconologie de Cesare Ripa compte des centaines d’entrées, car une même notion comprenait parfois des déclinaisons. Le tableau de Nicolas Loir donne ainsi un aperçu des nombreuses allégories suscitées par les beaux-arts et leur hiérarchie. La Renommée, reconnaissable à sa trompette, présente le portrait de Colbert à la personnification de la Peinture, une belle femme appuyée sur un repose-mains, dont elle fait une sorte de bâton de commandement. Elle est accompagnée des différents genres, représentés par ordre d’importance : la Peinture d’histoire qui tient une palette et représente un thème mythologique est très proche d’elle. Plus bas dans la hiérarchie, on trouve le Portrait, une femme de dos qui recopie le portrait de Colbert. Le message est clair : le portrait est moins noble, car il nécessite moins de réflexion. On trouve ensuite la Peinture de nature morte et, en dernier, le Paysage, matérialisé par une femme dans l’ombre, à l’arrière-plan. À côté d’Apollon, se dresse l’Académie, qui tient des grenades, symboles d’un peuple uni dans une cause commune.
Si la peinture allégorique nous apparaît aujourd’hui essentiellement décorative, elle était investie sous l’Ancien Régime d’une signification profonde, car elle cristallisait les principes moraux essentiels à l’élévation de l’âme et à l’organisation sociale. D’où la profusion de cette peinture dans les sphères du pouvoir, notamment royal. Louis XIV avait bien compris la force de ce langage à clés et l’a largement exploité au profit de sa communication. Afin de souligner la nature sacrée de son règne, il s’entoure ainsi d’œuvres évoquant la religion, dont les allégories des vertus théologales. Ces trois vertus, devant guider l’homme dans son rapport au monde et à Dieu, sont le sujet d’une commande passée à Mignard. Si la toile représentant la Charité semble ne pas avoir été exécutée, La Foi et L’Espérance ont été livrées en 1692 et ont toujours été conservées en pendant. Caractéristique de la fonction édifiante de ce genre, L’Espérance est immédiatement identifiable à son ancre marine et à son regard tourné vers le ciel.
Véritable pot-pourri de références, le langage allégorique mélange sans distinction les sources, qu’elles soient religieuses, mythologiques, issues de la sagesse populaire ou proverbiale. Le tableau de Jean-Baptiste de Champaigne est ainsi une belle illustration de la fabrication de ce langage, puisqu’il tire son sujet non seulement d’une histoire issue de la mythologie gréco-romaine, mais aussi d’une citation. Son titre Sine Cerere et Baccho friget Venus (« Sans Cérès et Bacchus, Vénus a froid ») serait en effet une citation du comédien romain Térence entrée dans la culture populaire. Ce proverbe, qui explique que l’Amour a besoin des nourritures terrestres et de l’ivresse pour s’épanouir, a connu un grand succès auprès des artistes, tant sa traduction visuelle offrait un prétexte idéal et décomplexé pour vanter les bienfaits des débordements sensibles et sensuels. Ce type de sujet permettait aussi de rendre acceptables des nus voluptueux grâce à l’alibi philosophique et littéraire.
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Décrypter l’allégorie dans la peinture
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°769 du 1 novembre 2023, avec le titre suivant : Décrypter l’allégorie dans la peinture