NAPLES / ITALIE
La rétrospective consacrée à l’artiste, à la Galleria d’Italia de Naples, lui réattribue fort opportunément quatre œuvres produites dans son atelier napolitain dont « Le Triomphe de Galatée ».
Naples. Artemisia Gentileschi (1593-1656) fait son retour à Naples dans les tout nouveaux espaces de la Galleria d’Italia d’Intesa Sanpaolo. Inauguré en 2007 dans le Palazzo Zevallos Stigliano, le musée de la principale banque transalpine a déménagé, au printemps dernier, au Palazzo Piacentini, ancien siège de la Banco di Napoli. Un somptueux édifice rationaliste conçu entre 1936 et 1939 par l’architecte Marcello Piacentini. L’espace de 10 000 m2 abrite une collection de plus de sept cents œuvres allant de la céramique de la Magna Grecia aux premières décennies du XXe siècle, ainsi que l’un des chefs-d’œuvre du Caravage, Le Martyre de sainte Ursule (1610).
On ne présente plus Artemisia Gentileschi passée ces dernières décennies de l’anonymat à la surmédiatisation. Il n’y a pas que le nombre d’articles, de livres ou de documentaires sur sa vie et son œuvre qui ont atteint des niveaux records : en 2019, une huile sur toile représentant Lucrèce et exécutée vers 1630 s’est vendue chez Artcurial, à Paris, à près de 5 millions d’euros. Un an auparavant, la maison de ventes Joron-Derem adjugeait un de ses autoportraits en sainte Catherine d’Alexandrie [voir ill.] 2,9 millions d’euros avant que la National Gallery de Londres l’acquière pour un montant de 3,6 millions de livres [4,1 M€].
Les visiteurs peuvent admirer cette toile à la Galleria d’Italia de Naples. « C’est elle qui est à l’origine de notre partenariat avec le musée londonien pour donner suite à la rétrospective qui a été consacrée à Artemisia Gentileschi en 2020, en pleine pandémie de Covid-19, rappelle Antonio Ernesto Denunzio, commissaire de l’exposition avec Giuseppe Porzio. Étrangement alors qu’elle a passé l’essentiel de sa vie à Naples de 1630 à 1654, mis à part la parenthèse londonienne de 1638 à 1640 pour aider son père malade, son séjour dans la cité parthénopéenne est considéré comme marginal. » Marginal, par méconnaissance de son parcours personnel mais surtout de son activité artistique : Artemisia Gentileschi avait ouvert un atelier collaborant ou faisant travailler les plus importants artistes de Naples à l’époque, parmi lesquels Bernardo Cavallino, Micco Spadaro et Onofrio Palumbo, de sorte que l’attribution de certains tableaux était devenue moins aisée. « Nous avons lancé il y a trois ans un travail minutieux de recherche nous plongeant dans les archives aussi bien de la Ville, de l’État que de l’Église, explique Antonio Ernesto Denunzio. Nous sommes parvenus à reconstituer avec plus de précisions les vicissitudes biographiques d’Artemisia Gentileschi, mais aussi à préciser l’attribution de quatre toiles provenant de collections privées et publiques américaines et britanniques. »
Le corpus de son œuvre comporterait ainsi soixante-cinq toiles. Parmi elles, Le Triomphe de Galatée (vers 1650), prêté par la National Gallery of Art de Washington qui l’avait acquis il y a vingt-trois ans au collectionneur Saul P. Steinberg. Les historiens de l’art reconnaissaient jusqu’ici exclusivement à Bernardo Cavallino la paternité de cette triomphante nymphe entourée de tritons et conduisant orgueilleusement son char. « Elle aurait été peinte par Artemisia Gentileschi, estime Antonio Ernesto Denunzio, Bernardo Cavallino participant évidemment très largement au reste de la production de ce chef-d’œuvre. C’est ce que nous mettons en exergue dans cette exposition qui présente une cinquantaine de tableaux napolitains, dont la moitié de la main d’Artemisia Gentileschi. Toute la difficulté réside dans la distinction à faire entre les œuvres dont l’idée de la composition ou la réalisation de certains des personnages lui reviennent et ce qui relève des artistes gravitant autour de son atelier. » Un travail collaboratif qui concerne également trois œuvres conservées au John and Mable Ringling Museum of Art de Sarasota (Floride) que le musée américain estime provenir de l’atelier de l’artiste : Suzanne et les Vieillards (1652), la Bethsabée au bain (1650) et Israélites célébrant le retour du roi David (1650).
Ces réattributions ne sont pas du goût de tous. « Cela ajoute une couche de confusion concernant une artiste que l’on va finir par de moins en moins bien comprendre, malgré tous ces travaux pour la redécouvrir », craint un directeur de musée italien qui émet des doutes sur ces nouvelles attributions.
L’accrochage des toiles est décevant dans le grand rez-de-chaussée du Palazzo Piacentini, divisé en plusieurs salles exiguës aux parois sombres. Les tableaux sont plongés dans une pénombre parasitée par l’éclairage vif projeté sur eux. Mais cela n’enlève rien au grand mérite de cette exposition qui met aussi en lumière des artistes oubliés ou méconnus dont la Napolitaine Annella de Rosa (1602-1643).
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°604 du 3 février 2023, avec le titre suivant : De nouvelles toiles attribuées à Artemisia Gentileschi