Histoire de l'art

Révisons l’histoire de l’art

Les femmes du XVIIe siècle reprennent le pouvoir

Par Isabelle Manca · L'ŒIL

Le 22 décembre 2020 - 729 mots

Dans la vaste entreprise de redécouverte des femmes artistes, nombre de peintres baroques réintègrent l’histoire de l’art à la faveur de recherches et d’expositions récentes.

« Pourquoi n’y a-t-il pas eu de grandes femmes artistes ? », demandait crânement Linda Nochlin il y a près d’un demi-siècle. Que de chemin parcouru depuis cette question polémiste, qui a produit l’effet d’un électrochoc sur les générations suivantes d’historiens de l’art. Longtemps minoré et marginalisé, le rôle des femmes dans l’art occupe aujourd’hui, une place de choix dans la recherche et progressivement dans la programmation des musées. Une place récente qui n’a véritablement pris son essor qu’au début du XXIe siècle, à la faveur du développement desgender studies et d’expositions retentissantes comme « elles@centrepompidou ». Car cette dernière, dédiée aux XXe et XXIe siècles, a non seulement eu un impact décisif sur la réhabilitation des artistes modernes, mais aussi créé un précédent, suscitant une prise de conscience et encourageant de nombreuses monographies, toutes périodes confondues.

Artemisia Gentileschi érigée en icône féministe

Cet intérêt nouveau gagne en effet petit à petit d’autres époques, où la place des femmes est encore moins connue, voire insoupçonnée. À l’instar des XVIIIe et XIXe siècles, période dont les créatrices ont également été invisibilisées, subissant la double peine d’être moins montrées mais également moins achetées et publiées que leurs confrères. Un beau sujet auquel s’attelle au printemps prochain l’exposition « Peintres femmes 1780-1830. Naissance d’un combat », au Musée du Luxembourg, à Paris. Plus surprenant encore, on redécouvre depuis quelques années que les femmes ont joué un rôle majeur dans l’art ancien, notamment à l’époque baroque. La plus connue est évidemment Artemisia Gentileschi (1593-1656), qui a récemment eu les honneurs de plusieurs expositions, dont une rétrospective en cours à la National Gallery de Londres.

Devenue une icône féministe depuis sa redécouverte dans les années 1970, elle a été érigée à son corps défendant en étendard de la condition féminine pour avoir été victime d’un viol dans sa jeunesse. C’est donc davantage par le prisme biographique qu’elle a d’abord été redécouverte. Avant que des chercheurs ne se penchent plus sérieusement sur sa carrière pour en démontrer l’importance, l’originalité, mais aussi les liens étroits et méconnus de son œuvre avec celles de ses consœurs.

Des genres mineurs à la peinture d’histoire

Dans le sillage de la remise en lumière d’Artemisia, c’est en effet une myriade d’artistes femmes qui reviennent sur le devant de la scène. Oubliées par l’historiographie, ces peintres ont, pour la plupart, connu la gloire de leur vivant, comme l’ont rappelé les récentes expositions collectives à Gand, Madrid et au printemps prochain à Milan. Elles s’appellent Sofonisba Anguissola, Elisabetta Sirani ou encore Lavinia Fontana. Cette dernière était d’ailleurs l’un des artistes les plus recherchés de Bologne, cité qui ne manquait pourtant pas de talents. Les dames de la haute société s’arrachaient notamment ses services pour être immortalisées dans de superbes portraits. Pionnière de cette génération, Sofonisba Anguissola exerce d’ailleurs ce genre dans les plus hautes sphères en devenant la peintre officielle de la cour d’Espagne sous le règne de Philippe II. Une première.

Ces peintres étaient toutefois, en théorie du moins, cantonnées aux genres mineurs, tels que le portrait et la nature morte. Une spécialisation qui n’empêchait pas de mener de brillantes carrières comme le prouve la trajectoire de Giovanna Garzoni (1600-1670), peintre attitrée du grand-duché de Florence, dont les peintures de fleurs et de fruits enchantaient les Médicis. Certaines de ces créatrices ont toutefois bravé les interdits et se sont emparées de la peinture d’histoire, alors en pleine réinvention dans le contexte de la Contre-Réforme. Fede Galizia (1578-1630) brosse ainsi une Judith aussi raffinée que déterminée et exécute plusieurs tableaux pour les églises de Milan. Tandis qu’Orsola Maddalena Caccia (1596-1676), religieuse de l’ordre des Ursulines de Casale, réalise de nombreux retables mais aussi des décors pour son monastère. Elle mettra d’ailleurs un point d’honneur à œuvrer à la formation des femmes en créant un atelier dans son couvent.

Particulièrement riche en talents féminins, l’Italie n’a toutefois pas constitué le seul foyer propice aux artistes du beau sexe ; comme l’a démontré la récente redécouverte de l’œuvre de la Flamande Michaelina Wautier (1617-1689). Peintre majeure et atypique, elle s’est aventurée dans des formats et des genres jusqu’alors tabous, notamment le nu masculin. Ses tableaux audacieux et impressionnants remettent en cause bien des certitudes et laissent entrevoir de passionnantes redécouvertes dans les écoles du Nord.

1612
Le peintre Agostino Tassi est condamné pour le viol d’Artemisia Gentileschi. Ce traumatisme marqua l’œuvre de cette dernière qui sera plus tard perçue comme une réaction proto-féministe.
1622
Marie de Médicis engage le peintre anversois Rubens pour décorer une galerie de son palais du Luxembourg à Paris. Seul exemple d’un cycle commandé par une reine.
Le baroque
C’est le style qui a dominé en Europe au XVIIe siècle et durant la première moitié du XVIIIe siècle. Il a émergé dans la cadre de la Contre-Réforme catholique, en Italie. Par son sens de la dramaturgie et son goût pour le spectaculaire, l’art baroque privilégie l’émotion.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°740 du 1 janvier 2021, avec le titre suivant : Les femmes du XVIIe siècle reprennent le pouvoir

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