Malgré la qualité du jeu des acteurs, Artémisia ne parvient pas à prendre vie. Agnès Merlet se perd dans un projet trop ambitieux, qui mêle évocation des techniques artistiques, histoire d’une passion, combat pour la liberté, et parallèles entre le cinéma et la peinture.
PARIS. "Exhibition de membres entrelacés", "étal de viande", ou "combinaison de postures amoureuses" : dans un texte resté célèbre, Roland Barthes relève l’ambiguïté de la Judith décapitant Holopherne d’Artemisia Gentileschi. Premier chef-d’œuvre signé par une femme, ce tableau caravagesque montre un étonnant renversement des rôles : "Si les deux femmes devaient violer le général, elles ne s’y prendraient pas autrement". La réalisatrice Agnès Merlet, ancienne étudiante aux Beaux-arts, a toujours été fascinée par cette toile, qu’elle met en parallèle avec l’histoire de son auteur. Violée ou séduite à 17 ans par son maître Tassi, le collaborateur et rival de son père, Artemisia s’engage dans un procès qui se retourne contre elle. On la soumet à la torture, et sa réputation est compromise. Elle continue néanmoins à peindre et fait carrière à une époque où les femmes ne peuvent ni suivre les cours de l’académie, ni pratiquer le nu. La vie de l’héroine d’Agnès Merlet offrait une riche matière : l’histoire d’une double passion amoureuse et artistique ; l’inversion des rôles traditionnels entre homme et femme, maître et élève ; la correspondance entre les débuts de la peinture en extérieur et la Nouvelle Vague au cinéma… Mais la réalisatrice, à tout vouloir montrer, ne parvient pas à lier les différents thèmes en un récit cohérent. Les raccords se font à grand renfort de clichés. L’art est rédempteur, la souffrance aide à créer, et les amoureux ne sont plus qu’un même regard. La beauté formelle des images et le soin apporté aux reconstitutions éparpillent l’attention. Le fonctionnement d’un atelier et d’un chantier, la préparation d’une toile et des pigments ne manqueront pas d’intéresser. Mais ces séquences cassent le ton général. Pourquoi donc Artemisia donne-t-elle un cours de peinture au jeune pêcheur qui l’accompagne, lorsqu’elle voit Tassi pour la première fois, peignant sur la plage ? En quelques minutes, le spectateur apprendra pêle-mêle que travailler en plein air était une nouveauté, que l’École florentine s’oppose au Caravagisme romain, qu’une sous-couche de blanc rend un tableau plus lumineux, que les peintres se servent d’un chassis quadrillé pour représenter un paysage en perspective…, le tout assorti d’une citation d’Alberti : "Le tableau est comme une fenêtre ouverte sur le monde". Sans doute une description plus approfondie du quartier cosmopolite des artistes à Rome – avec ses ateliers, ses peintres et ses mécènes – eût-elle mieux servi le film que ce petit exposé didactique. Or, l’atmosphère du milieu dans lequel vivent les Gentileschi reste étrangement superficielle. Agnès Merlet s’en tient à des généralisations : machisme des artistes, homosexualité et débauche des seigneurs d’église mécènes, suffisance du gonfalonier…
ARTÉMISIA, film français d’Agnès Merlet (1h38), avec Valentina Cervi, Michel Serrault, Miki Manojlovic.
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Artémisia perdue dans ses ambitions
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°44 du 26 septembre 1997, avec le titre suivant : Artémisia perdue dans ses ambitions