Au Japon, où les arts du feu ont un statut d’art majeur, le site de Bizen, au sud de Kyôto, est particulièrement réputé pour sa production de grès, d’apparence austère, dont l’absence de décor peint est palliée par d’étonnantes recherches dans les techniques de cuisson. Dans l’exposition \"Cordes de feu\" au Musée national de la Céramique, près de 150 pièces, dont la plupart n’ont jamais quitté l’archipel et certaines sont classées \"biens culturels importants\", offrent un panorama allant du XIe siècle aux créations contemporaines. Car parmi la vingtaine de centres céramiques médiévaux du Japon, Bizen est l’un des rares à n’avoir pas cessé son activité.
Les "ôgama", ces fours gigantesques de 54 mètres de long sur 5 mètres de large, n’ont pas d’équivalent au Japon. Le feu y était allumé sept fois par an, mais le travail ne s’arrêtait jamais car il fallait enfourner et défourner. Près de dix mille pièces étaient cuites au bois de pin en une seule fournée durant un mois, sans interruption. Mais un quart à un tiers des pièces seulement étaient jugées dignes d’être commercialisées. Christine Shimizu, commissaire de cette exposition inédite, souligne que Bizen a connu son âge d’or au XVIe siècle, grâce au développement de la cérémonie du thé. Si les collectionneurs, depuis les shôguns et les seigneurs féodaux, retrouvaient des valeurs – droiture, intégrité, vigueur – dans l’austérité des décors, celle-ci s’accordera encore davantage aux principes étayant cette cérémonie : harmonie, pureté, sérénité et respect. Car Bizen signe ses grès par l’absence de décor peint. Des modes de cuisson variés servent à produire les couleurs. D’abord accidentels, ces effets ont été sciemment recherchés et mis au point. Ainsi, au Moyen Âge, les potiers, pour produire davantage, empilent les pièces les unes dans les autres dans le four. Pour empêcher qu’elles se collent les unes aux autres, ils les entourent de paille de riz. En se consumant, la paille laisse des traînées rouges brillantes, des "cordes de feu", devenues l’une des caractéristiques majeures de Bizen. Les cendres de pin étaient également utilisées pour créer une couverte naturelle. Les objets sont aussi disposés dans le four de telle manière qu’une seule partie soit exposée directement aux flammes – elle prend ainsi une couleur brunâtre – et que l’autre, privée d’oxygène, devienne gris foncé. Ce contrasté, souvent vertical, a servi la renommée du site. Bols à thé, jarres à feuilles de thé, petits pots à poudre de thé, récipients à eau, bouteilles et plats pour les repas accompagnant la cérémonie, se multiplient. Les formes restent simples, ornées de quelques traits rapidement gravés avec une spatule de bambou. Bizen crée très rapidement des formes uniques, comme les vases tubulaires. Les maîtres de thé passent commande, les marchands affluent, Bizen exporte ses céramiques dans tout l’archipel. Mais à la fin du XVIIe siècle, les goûts évoluent. Bizen est concurrencé par les émaux colorés sur porcelaine de Kyôto ou d’Arita. Les potiers réagissent et innovent encore en créant des grès blancs, peints ou colorés, qui n’ont pas le succès escompté. Aujourd’hui, au contraire, ils renouent avec leurs origines. Des "ôgama" sont reconstruits, le bois brûle sans interruption pendant plusieurs semaines, comme autrefois ; les techniques traditionnelles renaissent. En 1956, la nomination du potier Tôyô Kaneshige au titre de "trésor national vivant" a donné ses lettres de noblesse à ce retour et permet au site de reprendre une place dans la céramique contemporaine japonaise. Plus de deux cents potiers travaillent à Bizen, quatre d’entre eux viennent de recevoir le prestigieux titre.
CORDES DE FEU, MILLE ANS DE CÉRAMIQUE JAPONAISE À BIZEN, Musée national de la Céramique, Sèvres, 26 septembre-28 décembre, tlj sauf mardi 10h-17h. Dans un pavillon de thé spécialement aménagé pour l’exposition, des cérémonies du thé sont présentées par un maître de l’école d’Urasenke, les jeudis et samedis à 14h30 et 15h30.
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De la terre et du feu
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Une orfèvrerie de terre
Surnommée "Phénix et Sphinx de la curiosité", la céramique dite "de Saint Porchaire" (XVIe siècle) est restée longtemps mystérieuse. Seules soixante-dix pièces sont connues dans le monde. Des analyses en laboratoire et des radiographies ont révélé qu’elle était une tentative d’imitation de la porcelaine orientale, sa pâte étant constituée de kaolin. Les formes et les décors, composés d’entrelacs et d’arabesques d’argile brune incrustées dans la pâte blanche, rappellent une somptueuse orfèvrerie à décor de nielle. Aiguières, salières, chandeliers s’inspirent du répertoire maniériste issu de l’École de Fontainebleau. De récentes découvertes, réalisées lors des fouilles sous la cour Napoléon de l’atelier de Bernard Palissy, ont mis au jour des tessons, des moules qui permettent d’affirmer que l’artiste avait moulé et reproduit de telles céramiques. Une quarantaine de pièces intactes et une trentaine de fragments exhumés sont exposés dans les appartements du connétable Anne de Montmorency au château d’Écouen. Un tel rassemblement n’a jamais eu lieu. Des pièces d’orfèvrerie, des armes, des tissus, des reliures, des étains sont également présentés pour la similitude de leurs décors.
UNE ORFÈVRERIE DE TERRE, BERNARD PALISSY ET LA CÉRAMIQUE DE SAINT PORCHAIRE, Musée national de la Renaissance, château d’Écouen, 25 septembre-12 janvier, tlj sauf mardi 9h45-12h30 et 14h-17h15.
La porcelaine de Saint-Cloud
Pour fêter son 300e anniversaire, la Ville de Saint-Cloud rassemble 160 pièces issues de sa manufacture. Celle-ci a précédé toutes les autres, en France comme en Europe, puisqu’elle a commencé à produire de la “porcelaine tendre”? dès la fin du XVIIe siècle. Décor bleu, à reliefs blancs, polychrome, or : la diversité de la production est représentée.
À L’ORIGINE DE LA PORCELAINE FRANÇAISE, LA PORCELAINE DE SAINT-CLOUD, Musée de Saint-Cloud, 30 septembre-30 novembre, tlj sauf lundi 14h-18h.
Les cadeaux au shôgun
Cette exposition japonaise est également une première car la plupart des pièces n’ont jamais quitté ce pays. Elle concerne une autre île de l’archipel, la plus au sud, Kyûshû. Potiers et artisans y fabriquèrent une vaisselle de cour – la porcelaine de Nabeshima – dans un style dégagé des influences chinoises, dont les pièces les plus raffinées étaient offertes au Shôgun. Celles-ci n’étaient pas exportées contrairement aux Kakiemon, plus connues donc en Occident.
LES CADEAUX AU SHÔGUN, PORCELAINE PRÉCIEUSE DES SEIGNEURS DE NABESHIMA, Paris, Mitsukoshi-Étoile, 16 décembre-14 février, tlj sauf dimanche 10h-18h.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°43 du 12 septembre 1997, avec le titre suivant : De la terre et du feu