Les XVIIe et XVIIIe siècles sont des temps majeurs pour les arts du feu, tant du point de vue de l’évolution des formes que de celle des décors, \"historiés\", naturalistes… La céramique s’empare alors de nouveaux domaines, son usage intéresse un plus vaste public. De nouveaux ateliers se créent, et de nombreuses innovations techniques permettent aux artisans de donner encore plus d’éclat à la faïence et à la porcelaine.
La poterie a été commune à tous les continents. L’invention de la porcelaine revient à la Chine, ainsi que les grès. La faïence naît au Proche-Orient. Les terres siliceuses appartiennent au monde islamique. En Europe, à la poterie recouverte de glaçures colorées, d’engobes incisés, s’oppose l’éclat de la faïence. En Iran et en Mésopotamie, cette nouvelle technique céramique est utilisée dès le VIIIe siècle. Elle va longer les côtes de l’Afrique, pénétrer en Espagne (Xe siècle). L’Italie l’adopte aussitôt et, à la fin du XVe siècle, polychromie et motifs décoratifs sont mis en place dans le fameux centre de Faenza, à l’origine du terme "faïence". Les liens historiques entre la France et l’Italie sont étroits et influencent les décors. Au milieu du XVIe siècle, le potier rouennais Masséot Abaquesne emprunte à la péninsule la représentation de bustes. Lyon préfère les motifs végétaux. Nevers exploite largement le décor historié à partir de la fin du XVIe siècle. Une famille de potiers, les Conrade, introduit l’esprit italien avec une décoration empruntée à leur ville d’origine, Albisola (Savone) : semis d’oiseaux, d’animaux, branches feuillues traitées en camaïeu bleu. Au milieu du XVIIe siècle, la littérature précieuse, avec la parution de L’Astrée, le roman d’Honoré d’Urfé (1567-1627), influence une nouvelle production. Les "historiés" relatent les vicissitudes amoureuses du berger Céladon pour Astrée, en polychromie et en camaïeu bleu. Dans la deuxième moitié du XVIIe siècle, le goût français se précise : différentes scènes prennent vie grâce à des gravures d’après des tableaux de peintres français. Cependant, l’engouement pour l’Orient et l’Extrême-Orient frappe aux portes de la France.
Nevers sera le premier centre à maîtriser, dès 1660, le répertoire chinois traité en camaïeu bleu, ou en camaïeu bleu rehaussé de manganèse. Cavaliers et leur suite, lettrés assis envahissent les grands plats, les bouteilles, les gourdes, les vases, les fontaines. À la fin du XVIIe siècle, la concurrence s’éveille. Rouen innove avec le fameux décor de lambrequins copié directement par les faïenciers de Delft, qui s’inspirent également des vases chinois. La collerette de broderies s’élargit et, de plus en plus gourmande, se transforme en décor rayonnant. Ces lambrequins essaiment pendant la première moitié du XVIIIe siècle, à Lille, Paris, Saint-Cloud, Strasbourg, Moustiers. Dans le Midi, Moustiers et Marseille (Saint-Jean-du-Désert) regardent volontiers vers l’Italie. Les historiés mythologiques et bibliques sont à la mode (dernier quart du XVIIe et début du XVIIIe siècle), mais la représentation de chasses d’après les gravures du Florentin Antonio Tempesta (1555-1630) aura la part belle. Les dessins de l’ornemaniste Jean Bérain (1639-1711), organisateur des fêtes de Louis XIV, seront une source d’inspiration aussi bien pour les ébénistes que pour les tapissiers et les céramistes. Les faïenciers de Moustiers – l’illustre famille des Clérissy, au premier chef – et les fabriques du Sud-Ouest – Toulouse, Ardus, Montauban – sortiront de leurs fours des pièces parées de bustes, d’éléments d’architecture reliés entre eux par des draperies, des arabesques. De la même manière, le Midi s’attache au décor à grotesques et à médaillons et guirlandes, mais aussi à celui des fleurs de solanées. La fabrique d’Olérys et Laugier, à Moustiers, mettra à la mode ces décors en introduisant la polychromie. Le style rocaille, l’un des plus beaux de l’art décoratif du règne de Louis XV, marquera plus encore les formes que les décors : aiguières et leurs bassins, pots-à-l’oille, terrines et leurs plateaux, saucières, moutardiers, sucriers...
En complément, courbes et contre-courbes jouent le rôle d’encadrement à des scènes de genre. Citons, à Marseille, la manufacture des Fauchier, ainsi que les centres de Rouen, Sinceny, Lille, Saint-Omer, Lyon, Moustiers... La deuxième moitié du XVIIIe siècle est soumise à une double révolution : la vogue du naturalisme, qui se traduit par des décors de fleurs, d’oiseaux, de scènes champêtres, de paysages animés de personnages, est rendue possible grâce à la technique du "petit feu". Les styles varient d’une région à l’autre. Toute la gamme des carmins, allant du rose tendre au pourpre foncé, donnent aux bouquets de roses, de tulipes, de pivoines de Strasbourg, de Niderviller, des centre de l’Est, du Nord, leur velouté et leur parfum. Des fleurs des champs associées à d’autres plus précieuses – la rose, en particulier –, disposées en jetés ou en bouquets échevelés, résument bien toute la fantaisie du Midi. Les fabriques marseillaises de la Veuve Perrin, de Gaspard Robert, d’Antoine Bonnefoy créent un style qui sert de contrepoint à celui de l’Est. Le penchant pour l’Extrême-Orient connaîtra un regain grâce au décor "à la Pillement". Et si Nevers se plaît longtemps dans la représentation de scènes chinoises, elle modifera le répertoire décoratif : faïences patronymiques, faïences dites parlantes, faïences révolutionnaires, qui seront reprises par toutes les manufactures. Le génie créateur des faïenciers s’essouffle peu à peu à la fin du XVIIIe siècle ; l’engouement pour la porcelaine s’accentue, et "la faïence fine", un autre produit céramique bien moins coûteux apparaît : elle la remplacera au XIXe siècle.
L’aventure de la porcelaine
L’aventure de la porcelaine commence en Italie au XIVe siècle, après le long séjour de Marco Polo en Chine (1275-1291), d’où il ramène des pièces de l’époque Song (959-1206) et Yan (1280-1368). Les alchimistes recherchent fébrilement le secret de cette énigmatique pâte blanche. Des essais sans lendemain ont lieu à Venise, Padoue, Ferrare. Seule Florence réussira, vers les années 1575, à produire cette matière si enviée. La porcelaine Médicis imitera la chinoise, avec ses décors peints en bleu, mais faute de kaolin, l’argile indispensable, elle sera artificielle. La France, un siècle plus tard, prend la relève. La première manufacture importante, protégée par Monsieur, frère du Roi, est installée sur ses terres, à Saint-Cloud, en 1675. Il s’agit toujours de porcelaine artificielle, que l’on appelle en France, plus communément, porcelaine tendre. Saint-Cloud, à la fin du XVIIe siècle, adoptera le camaïeu bleu à motifs de lambrequins et "à la Bérain". La cuisson s’avérant délicate, on privilégiera des pièces de petite taille : salières, manches de couteaux, gobelets, pots à fard...
La polychromie, qui apparaît à la fin du XVIIe siècle, se pliera à la mode de l’Extrême-Orient, avec notamment les modèles du potier japonais Sakaido Kakiemon : fleurs de prunus, branches de pêcher, chrysanthèmes, tiges de bambous, mais aussi pagodes, personnages, enfants, et frêles silhouettes appelées "longues dames". Saint-Cloud, grâce à sa pâte onctueuse et légèrement ivoirée, copiera abondamment les fameuses porcelaines blanches chinoises de Fou-Kien, avec pour seul décor des motifs en relief et essentiellement floraux. Lorsque le prince de Condé installe à Chantilly sa manufacture (vers 1725), la production s’oriente à la manière du Japon. Louis Henri de Bourbon avait en effet une collection de porcelaines nippones des plus importantes, la seconde après celle de l’Électeur de Saxe. La manufacture de Chantilly, de 1725 à 1740, va copier, s’inspirer de toutes sortes de formes et de décors typiques de la production de Sakaido Kakiemon : les branches fleuries, la haie de bambous, les oiseaux – en particulier, les grues et les perdrix –, les jeux d’enfants. La polychromie, à l’inverse de celle de Saint-Cloud, est contrastée, avec des rouges de fer et des bleus de cobalt, agrémentés d’un peu de vert et de jaune. Dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle, le naturalisme se manifeste par la représentation de bouquets de fleurs de trois genres différents et de décors d’oiseaux. Cependant, dès 1760, apparaît une production plus économique, en camaïeu bleu, qui aura un vif succès, particulèrement avec des décors "à la brindille", "à l’œillet", "au jet d’eau".
La manufacture de Mennecy, grâce à la protection du duc de Villeroy, connaîtra l’un de ses apogées entre 1766 et 1773, sous la direction du peintre Joseph Julien et du sculpteur Symphorien Jacques. Les deux artistes dirigeant parallèlement celle de Sceaux, les décors d’oiseaux deviendront "cousins germains". L’univers de la porcelaine tendre, en Europe, va basculer avec le développement fulgurant de la manufacture de Vincennes, future manufacture de Sèvres, à laquelle le roi Louis XV s’intéresse personnellement. Créée en 1738, elle aura dès 1745 une organisation qui se perfectionnera de jour en jour avec le concours de grands artistes. Dessinateurs, peintres, émailleurs, chimistes font partie des académies royales. Au début, Vincennes adopte les semis de petites fleurs ou le décor de grosses fleurs d’après des planches de botanique allemandes du XVIIe siècle. Elle suit ainsi la mode lancée par la manufacture de Meissen ; la polychromie reste sourde, avec des carmins violacés.
Il faut attendre 1751-1752 pour que la beauté, la richesse, la diversité des formes et des décors prennent leur envol. Les fonds de couleur – jaune, bleu nuageux, bleu céleste ou bleu de Roi, vert – seront tous des créations de Vincennes. Dans les réserves, entouréesde riches encadrements d’or, prennent place oiseaux, fleurs, amours et enfants, ces derniers d’après les modèles du peintre du Roi François Boucher. La polychromie s’est éclaircie, les couleurs sont aquarellées. En 1756, les ateliers s’installent à Sèvres ; en 1759, le roi en est l’unique propriétaire. Désormais, la Manufacture royale de Sèvres dicte sa loi. Sèvres élabore d’autres fonds, le rose, le "bleu nouveau". Un imperceptible changement s’amorce en 1760. À première vue, les thèmes décoratifs ne changent pas, mais l’esprit est tout autre. Les motifs occupent de plus en plus de place dans les réserves ; vers 1770, ils seront traités à la manière de tableaux miniatures. Le néoclassicisme s’introduit discrètement pour éclater au grand jour avec, en particulier, d’importantes scènes mythologiques. Le fond de couleur recouvre pratiquement toute la pièce. La belle blancheur tant convoitée a disparu.
Malgré la fabrication de la porcelaine dure kaolinique (1769-1770), celle de la porcelaine tendre se poursuit. Mais à matériau nouveau, possibilités nouvelles. Les fonds de couleur changent : écaille de tortue, vert chartreuse, pourpre foncé, noir à l’imitation des laques... Le décor mis à la mode par J. Salembier s’inspire des arabesques et des Ménades des fresques d’Herculanum et de Pompéi. Tout anonce le style Empire. À la fin du XVIIIe siècle, les manufactures que privilégient les proches du Roi – la reine Marie-Antoinette, le comte de Provence, le comte d’Artois, le duc d’Angoulême – ne peuvent concurrencer la Manufacture royale de Sèvres. Toutefois, ces porcelaines de Paris – elles sont toutes installées dans la capitale – fabriquent exclusivement de la porcelaine dure, qu’elles vendent à des prix inférieurs à ceux pratiqués par Sèvres. Le mot porcelaine évoque le luxe, mais celui-ci doit être utilitaire : services de table, services de toilette, déjeuners, cabarets, caisses à fleurs, bouquetières, vases d’ornement, pendules, plaques que les plus grands ébénistes feront poser sur des tables volantes, sur des guéridons, sur l’abattant d’un secrétaire...
Les sculptures en biscuit, les bibelots, trouveront leur place pour orner la table. Elles formeront le surtout, couronnant ainsi le succès du service à la française. L’esprit inventif de l’homme n’a peut-être jamais su, autant qu’en cette deuxième moitié du XVIIIe siècle, satisfaire les exigences d’une société raffinée avec un tel déploiement d’élégance.
Les techniques
Faïence : poterie trempée dans une solution alcaline plombeuse à laquelle on ajoute de l’oxyde d’étain. Décor de grand feu : sur l’émail cru et sec, on pose les couleurs : bleu de cobalt, vert de cuivre, jaune d’antimoine, violet de manganèse. Le rouge de fer est difficile à obtenir car il nécessite une température peu élevée. La cuisson de grand feu varie entre 750 et 950°. Terre, émail, couleurs cuisent en même temps. Décor de petit feu : sur la faïence déjà cuite avec son émail, on pose les couleurs à l’aide d’un fondant. On cuit les couleurs à une température variant entre 600 et 800°. Porcelaine dure : fabriquée à base de kaolin, l’argile indispensable, et recouverte d’un enduit feldspathique incolore et brillant. La porcelaine est un produit vitrifié qui demeure parfaitement blanc à la cuisson de 1 400°. Le décor polychrome cuit au petit feu. Porcelaine tendre : fabriquée à base d’éléments qui composent le verre et recouverte d’un enduit essentiellement plombeux, incolore et transparent. La cuisson se situe entre 850 et 1 100°. Le décor polychrome cuit au petit feu.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
La grande époque française
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°43 du 12 septembre 1997, avec le titre suivant : La grande époque française