Dans le volet qui le concerne, le Musée national de la Renaissance rappelle à travers les témoignages parfois idéalisés laissés par les artistes l’importance du bain, vestige de la culture antique.
Une assemblée d’hommes, au faciès disgracieux, s’adonne à la boisson ou joue de la musique dans un bain public en plein air. L’architecture des lieux tient plus de la hutte que des thermes à l’antique. L’un des hommes est accoudé à une fontaine dont le robinet s’apparente à une verge ithyphallique.
La gravure, qui confine à la vulgarité, est signée Albrecht Dürer (Bain des hommes, vers 1496, Reims, musée Le Vergeur). Elle possède un pendant, illustrant un bain des femmes. Une gravure de cette image attribuée à Hans Springinklee (vers 1518, Bibliothèque nationale de France) – celle de Dürer est restée à l’état de dessin –, présente un même caractère trivial. Ces deux images de bains populaires, dépourvues d’une quelconque recherche d’idéalisation des corps, sont très éloignées de la volupté des images italiennes traitant de sujets similaires.
Les canons de la beauté
Dénonciation morale de mœurs dépravées ? Michèle Bimbenet-Privat, commissaire de ce volet de l’exposition qui se tient dans les salles du château d’Écouen, ne semble pas avoir retenu cette thèse. L’ambiance est pourtant tout autre dans les images de bains nobles italiens, puisant aux sources de l’iconographie antique. Un précieux dessin, attribué à Primatice (Mars et Vénus au bain, avant 1543, musée du Louvre) illustre ainsi l’une des fresques du célèbre appartement des bains de Fontainebleau, décoré vers 1539-1543 pour le roi François Ier. À lui seul, le Valois a en effet donné une image durable des bains aristocratiques de la Renaissance.
Le luxe de ses appartements de bains, que le roi aimait à faire découvrir à ses hôtes de marque et où étaient accrochés les plus précieux de ses tableaux, dont sa collection de Léonard de Vinci, est symptomatique de l’importance accordée à ces moments de détente rarement mixtes. Le connétable de Montmorency s’en était fait aménager un similaire, doté d’une monumentale salle de bains en pierre de taille, dans les sous-sols de son château d’Écouen. Il est exceptionnellement ouvert à la visite pendant la durée de l’exposition.
Contrairement à l’époque romaine, ces bains nobles n’avaient en effet rien à voir avec les ablutions classiques. Ils participaient souvent d’un rituel social réservé à une élite. Les célèbres figures de dames au bain, archétype de la peinture de la Renaissance, témoignent ainsi de la dissociation entre les soins du corps et la toilette, ou moment destiné à l’apprêt et à la beauté. Ainsi de la célèbre peinture figurant Gabrielle d’Estrées et sa sœur au bain (fin du xvie siècle, Montpellier, Musée languedocien), présentée ici par une version différente de celle du Louvre, les deux femmes étant vêtues d’une fine tunique de bain.
La rupture n’est pourtant pas totale avec les pratiques anciennes. Les traités de cosmétologie revendiquent ainsi ouvertement l’héritage des textes antiques. Certains, moins érudits, sont destinés à une clientèle bourgeoise, telle La Pratique de faire toutes confitures de Michel de Nostredame, dit Nostradamus (1558, Paris, Bibliothèque interuniversitaire de pharmacie), une compilation largement diffusée au xvie siècle, associant recettes culinaires et cosmétiques. Ses textes nous révèlent aussi le canon de beauté de la femme de la Renaissance : un teint de lys, les pommettes rehaussées de vermillon, les sourcils et les cheveux noircis – la blondeur était le principal critère de la beauté médiévale –, les yeux et les lèvres non maquillés.
Le parfum joue également un rôle primordial. Si les eaux de toilette sont encore de fabrication douteuse, huiles et autres pâtes parfumées sont appréciées des femmes mais aussi des hommes, comme le montre ce portrait de bourgmestre tenant ostensiblement une pomme de senteur – symbole d’hygiène publique –, dû à Jacob Cornelisz van Oostsanen (musée du Louvre). Ces pommes de senteur prenaient parfois la forme de somptueux bijoux, dont quelques très beaux exemplaires ont été réunis dans une élégante scénographie.
Aryballe
Vase grec antique utilisé pour stocker les huiles destinées aux soins du corps.
Fard
Compositions de différentes couleurs qu’on applique sur la peau.
Onguent
Essence aromatique que l’on utilisait afin de se parfumer et pour embaumer les corps.
Pyxide
coffret ou coupe qui servait à contenir les bijoux.
Strigile
Étrille ou racloir utilisé par les romains afin de frotter et nettoyer la peau après les bains de vapeur.
Thermes
Établissement de bains publics.
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Dans le grand bain de la Renaissance
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Abonnez-vous dès 1 €Informations pratiques. « Le bain et le miroir. Soins du corps et cosmétiques de l’Antiquité au Moyen Âge » jusqu’au 21 septembre 2009. Musée de Cluny : tous les jours sauf le mardi de 9 h 15 à 17 h 45. Château d’Écouen : tous les jours sauf le mardi de 9 h 30 à 12 h 45 et de 14 h à 17 h 45. Tarifs : billets jumelés : 13 et 10 e. www.musee-moyenage.fr et www.musee-renaissance.fr
Une histoire en commun. En 1843, l’État français achète la collection d’art médiéval et de la Renaissance de la famille Du Sommerard qui est alors installée à l’hôtel de Cluny. Le ministère des Affaires culturelles crée le Musée national de la Renaissance dans les années 1960 qu’il installe au château d’Écouen. C’est en 1977 que les collections sont définitivement séparées et, pour la Renaissance, transférées à Écouen.
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°615 du 1 juillet 2009, avec le titre suivant : Dans le grand bain de la Renaissance