La femme doit-elle être fardée ou exalter sa beauté naturelle ? La question, relative aux rites du bain et de la toilette, semble toujours avoir fait débat. Une double exposition fait le point sur le sujet, de l’Antiquité à la Renaissance.
Quel endroit, mieux que les anciens thermes de Cluny à Paris, pouvait accueillir cette exposition consacrée aux soins du corps de l’Antiquité au Moyen Âge ? Après plus de neuf années d’études préalables et de travaux de restauration, le frigidarium – ou pièce froide –, seule pièce de ce vaste ensemble thermal construit au ier siècle à subsister en élévation, a enfin retrouvé son éclat. Sa monumentalité témoigne encore aujourd’hui de l’importance de ce type d’établissements dans la vie sociale romaine.
Fréquentés par tous, les thermes étaient autant des lieux de soin du corps que des espaces de sociabilité. Leur décor était souvent somptueux : plaques de marbre, mosaïques comme l’illustre le fragment découvert près des anciens thermes de Cluny figurant Éros chevauchant un dauphin (ier-iie siècles, musée de Cluny), mais aussi sculptures. Ainsi de ce superbe buste d’amazone en marbre (iie siècle, Trèves, Rheinisches Landesmuseum), découvert lors de fouilles sur le site des anciens thermes de Trèves (Allemagne). Qui n’est autre qu’une copie romaine tardive d’un original grec lié à l’un des plus célèbres concours de l’Antiquité grecque, organisé par la ville d’Éphèse, pour le décor du sanctuaire d’Artémis auquel avaient participé notamment les sculpteurs Polyclète et Phidias.
Dès l’entrée de l’exposition, il n’échappera donc pas au visiteur que les Romains, après les Grecs, ont voué un véritable culte au corps, comme en témoignent encore de nombreux objets, dont certains très luxueux : aryballes, strigiles, miroirs et autres cure-dents ou cure-oreilles, souvent découverts en contexte funéraire.
Les femmes de l’AntiquIté semblent donc avoir particulièrement apprécié parfums – objets d’un commerce lucratif –, crèmes et autres produits de maquillage, comme le confirment les traces d’onguents et de fards découvertes dans de multiples récipients, et comme l’attestent diverses sources écrites (lire l’encadré). Mais déjà, leur usage pouvait faire l’objet de critiques. « Un visage qui a besoin de tant de préparations, auquel il faut ces cataplasmes humides, est-ce un visage ou un ulcère ? », écrivait ainsi l’acerbe Juvénal dans ses Satires (490-506).
Religion et coquetterie
Dans cette mise en scène du corps, l’art de la coiffure tenait également une place de choix. Une série de portraits antiques, judicieusement juxtaposés, révèle ainsi les différentes modes antiques, souvent liées à des dynasties impériales. Ainsi de l’étonnante coiffure en « nid d’abeilles », très en vogue à l’époque flavienne, illustrée par une surprenante tête de femme (fin du ier siècle, p. 91). L’art d’apprêter sa chevelure demeurera une constante jusqu’au Moyen Âge. Évoquée en deux salles, cette époque est marquée par de profonds changements, l’Église recommandant une forme de renoncement au corps. Si les bains publics sont fermés – pour des raisons morales mais aussi par crainte des épidémies –, la persistance de l’utilisation d’un certain nombre d’objets, miroirs, peignes et autres pyxides, indique la permanence de ce souci de soi.
La figure de Marie Madeleine incarne ainsi parfaitement cette ambivalence. Figurée avec son pot à onguents, qui rappelle son passé de pécheresse, Marie Madeleine est aussi celle qui prodigue les premiers soins au Christ souffrant. La belle sculpture en bois de la fin du xve siècle (p. 89), avec ses longues tresses agencées en une coiffure d’une extrême sophistication, démontre l’existence de cette dualité entre image pieuse et figure de femme séductrice. Où comment s’accommoder des prescriptions religieuses.
L’ambition de cette exposition, à la frontière entre les sujets de l’hygiène, de l’histoire de la beauté et de l’iconographie, était aussi scientifique. Le Centre de recherche et de restauration des musées de France (C2RMF) s’est en effet associé aux laboratoires de recherche du groupe L’Oréal, spécialisés dans la recherche cosmétique, afin d’approfondir les connaissances sur les constituants des produits de beauté antiques. Le laboratoire du groupe de cosmétique n’en était pas à son coup d’essai. En 1999, il avait ainsi permis de retrouver la recette des fards égyptiens. De 2005 à 2008, cent quarante-quatre échantillons de produits cosmétiques exhumés en contexte archéologique, lors de fouilles menées en France, en Allemagne, en Italie et en Grèce, ont ainsi été passés au crible des analyses. Plusieurs secrets ont pu être percés. Les fards roses des Romaines étaient ainsi élaborés à partir de minéraux riches en aluminium et de colorants végétaux, notamment la garance, une plante au fort pouvoir colorant rouge. Pour teindre les cheveux, la galène noire, un minéral pourtant toxique à base de plomb, était couramment utilisée. Si la plupart des ingrédients étaient d’origine naturelle, les fabricants de cosmétiques semblent avoir déjà maîtrisé la création de produits de synthèse, résultant principalement de la chimie du plomb. Les huiles les plus employées comme onguents étaient extraites d’olives, de noix de ben, de palme, de pavot ou d’amandes amères. Toutes ces découvertes ont souvent été corroborées par des sources écrites anciennes, qui sont multiples, de Hippocrate (vers 460 – vers 377), médecin grec qui proposait des recettes de crèmes pour le teint, à Gallien (vers 131 – vers 201), médecin romain auteur d’une recette de teinture pour cheveux. n
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Bain et miroir à Cluny et Écouen : parce que la beauté le vaut bien
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°615 du 1 juillet 2009, avec le titre suivant : Bain et miroir à Cluny et Écouen : parce que la beauté le vaut bien