Lyon
L’exposition du Musée Lugdunum offre une vision sociale et plurielle de la cuisine de l’Antiquité romaine, bien loin des clichés du banquet plantureux.
Une cuisine diététique, « anti-gaspi », préparée à base d’ingrédients provenant de circuits courts : non, il ne s’agit pas de l’ouverture d’un nouveau restaurant éco-responsable, mais d’une définition de la cuisine romaine antique, bien plus proche de la vérité historique que le cliché véhiculé par la peinture, la littérature et le cinéma. Cette vision d’un banquet débordant de mets exotiques, de langues d’oiseaux et de cous de girafes farcis, a été largement diffusée au XXe siècle, dans Satyricon de Federico Fellini, ou dans les histoires d’Astérix d’Uderzo et Goscinny : véritable repoussoir moral qui condamnait en creux les excès de notre propre société. Plus sobre, plus sain, mais surtout plus divers, le régime des Romains et Gallo-Romains ne saurait se résumer à l’image de riches citoyens allongés engloutissant grappes de raisin et huîtres.
L’exposition « Une salade, César ? » du Musée Lugdunum prend comme point de départ cette image d’Épinal qui est réévaluée à l’aune du travail des archéologues. Sept personnages guident le visiteur tout au long du parcours, chacun incarnant une position sociale – donc alimentaire – différente. Il y a Publius l’esclave, Fortunata la paysanne, Marcus le riche magistrat, ou Caius, un légionnaire en permission. À travers ces micro-histoires, c’est un paysage gastronomique varié qui s’offre au visiteur : lorsque l’un déjeune de gruau, l’autre dîne de petits oiseaux rôtis.
Le banquet, le temps des affaires
La scénographique de l’exposition lyonnaise porte aussi sur la reconstitution de lieux emblématiques de la cuisine romaine qui offrent un panorama des diverses pratiques culinaires adoptées par les Romains. On retrouve ainsi le fameux banquet, reconstitué à partir d’un modèle fouillé à Vaise, au nord de Lyon. Une maîtresse de maison, incarnée par une actrice filmée qui surgit d’un écran formant l’embrasure d’une porte, donne le ton : il ne s’agit pas d’une orgie sans limites, mais d’une réception très formelle et codifiée. Les invitations à ces événements privés sont un signe de reconnaissance sociale et les discussions y sont régies par un ensemble de règles. Rouage essentiel de la société clientéliste romaine, le banquet tient donc plus du dîner d’affaires que de la bacchanale débridée.
Autre reconstitution, autre ambiance : un aubergiste vous accueille, gaillard, dans une caupona, une taverne-snack prisée des classes populaires, qui fait également office d’auberge et de lieu de rencontre avec des prostituées. Dans cet établissement ouvert sur la rue, on mange des plats simples et roboratifs sur le pouce. Désormais connu du grand public grâce à l’exceptionnelle découverte pompéienne, où les fresques du comptoir ont été intégralement conservées, ce lieu est une source d’informations sur la vie quotidienne des Romains comme sur leur alimentation. Grâce aux restes des céramiques retrouvées près des caupona ou ailleurs, les archéologues reconstituent le menu des Romains, par l’analyse des traces chimiques laissées par les aliments cuits ou conservés dans les pots et amphores. Deux céramologues sont ainsi à l’origine de cette exposition (Cécile Batigne Vallet et Armand Desbat). Mais Claire Iselin, directrice du musée, met en garde : « L’archéologie nous montre que ce qu’elle veut bien nous montrer. » Si la céramique traverse les âges, bien d’autres contenants fabriqués en matériaux organiques sont perdus à jamais.
L’atelier de l’archéologue situé en fin de parcours permet d’apprécier l’éventail des différentes sources à disposition des archéologues pour justement reconstituer la culture culinaire romaine. Les sources textuelles restent indispensables, malgré toutes les imprécisions qu’elles portent (ce sont des textes d’Apicius que nous vient la vision romancée du banquet romain). Il faut les croiser avec l’archéozoologie, qui étudie les restes d’animaux, la carpologie, qui analyse graines et pollens, sans oublier l’archéologie expérimentale, une source d’informations parfois sous-estimée.
On retrouve l’ensemble de ces sources archéologiques tout au long du parcours qui s’articule en deux thématiques : les aliments et leur provenance, puis leur préparation. La première donne à Lyon une place toute particulière, à la croisée des routes terrestres et navigables de l’empire romain, les produits d’importation y affluaient pour les repas des riches citoyens. On y évoque aussi l’ingrédient roi de la cuisine romaine, l’huile d’olive, qui apparaît sur les terres lyonnaises en même temps que la fondation de la colonie romaine.
Dans la portion du parcours consacrée aux différents régimes alimentaires, la scénographie associe chaque personnage à une assiette garnie selon ses moyens et ses besoins. On y découvre un sens de la diététique, théorisé par le médecin Galien, qui fait écho à nos préoccupations actuelles (sportifs et femmes enceintes bénéficient, par exemple, d’un régime spécifique). Très attrayante, notamment pour le jeune public, l’approche micro-historique adoptée par le Musée Lugdunum est ici pleinement exploitée pour rendre concrète l’alimentation de nos ancêtres. La visite virtuelle, réalisée par le service de médiation du musée et disponible sur le site de l’institution, est un bon moyen pour patienter jusqu’à la réouverture des lieux culturels.
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Dans l’assiette des romains
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Abonnez-vous dès 1 €Initialement jusqu'au 4 juillet 2021, Lugdunum, Musée et théâtres romains, 17 rue Cleberg, 69005 Lyon
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°564 du 2 avril 2021, avec le titre suivant : Dans l’assiette des romains