Design

Copie ou innovation ?

Par Christian Simenc · Le Journal des Arts

Le 31 janvier 2017 - 812 mots

L’inspiration des designers doit beaucoup à l’imitation de créations existantes. Le Grand Hornu raconte une histoire du design à travers l’art de la copie.

HORNU - La copie, dans le domaine du design, est un sujet ô combien complexe. La journaliste et commissaire d’exposition Chris Meplon sait le terrain « délicat », mais tente néanmoins, avec la présentation « Ceci n’est pas une copie », d’explorer diverses facettes dudit phénomène. Imitation ou innovation ? La frontière est floue et la question de l’originalité indéniablement vaste. D’où ce parcours éclairant, déployé dans les Écuries du musée du Grand-Hornu, en Belgique, qui permet à chacun d’en cerner quelques repères. À commencer par le médiéval, sinon antique, exercice d’imitatio-æmulatio [« imitation-dépassement »] envers les maîtres. Certes Charlotte Perriand a, jadis, dessiné la fameuse « chaise longue de Le Corbusier ». Mais sa silhouette impeccable devrait-elle pour autant empêcher tout designer de s’« étendre » à nouveau sur le thème ? Incontestablement non, comme en témoigne l’assise minimale LL04 conçue par Maarten Van Severen. Idem avec Patricia Urquiola, dont la chaise Comback (Kartell) n’est pas sans évoquer le fauteuil Windsor de Børge Mogensen (FDB Møbler), un brin plus élégant, lui-même d’ailleurs inspiré des chaises Windsor de l’Angleterre du XVIIIe siècle.

Au rayon luminaires, la célèbre « lampe d’architecte » aurait comme matrice originelle la britannique Anglepoise conçue en 1931 par un styliste automobile, George Carwardine, sur un principe de balancier et de ressorts. Depuis 1935, date de sortie du premier spécimen domestique, cette typologie de lampe articulée a mis en ébullition maints crânes de designers. En particulier, celui de Michele De Lucchi qui réalise, en 1983, un modèle aujourd’hui best-seller : Tolomeo (Artemide). Hormis la silhouette, les deux produits sont foncièrement différents, mécanisme et matériaux s’étant amplement sophistiqués.

Revisiter et améliorer
Car il existe, bien sûr, des manières intelligentes de « copier » un objet. Ou, plus exactement, de s’en inspirer pour créer une « imitation » améliorée. Ainsi en est-il de cette suspension signée par le maestro italien Achille Castiglioni : Parentesi. L’idée (géniale ?) : un simple câble qui descend du plafond au sol, sur lequel coulisse une source lumineuse adaptable manuellement à n’importe quelle hauteur et à 360°. Quatre décennies plus tard et pour le même fabricant, Flos, Konstantin Grcic revisite le système et créé la lampe OK équipée de diodes électroluminescentes. La forme change, la technologie aussi, mais le concept de base demeure.

D’aucuns designers mettent, eux, en avant la notion d’« hommage ». Ainsi, Maarten Baas réalise une version « carbonisée » de la célèbre Chaise Rouge et Bleue, que son compatriote Gerrit Rietveld a mise au point entre 1918 et 1923. Dans un autre registre, l’entreprise Mal reproduit en une version pour l’extérieur l’iconique fauteuil Lounge, dessiné en 1956, par Charles et Ray Eames. Résultat : un pâle duplicata de polyéthylène. En vogue actuellement, les nouvelles technologies apportent évidemment leur écot à ce phénomène de « reproduction ». Au sens littéral cette fois, car une imprimante 3D est capable d’imiter à l’identique un original, à une différence près, mais elle est de taille : le matériau. Bien que les formes puissent s’avérer parfaites, la matière, à base de poudre, est souvent frustrante.

La copie prise à contre-pied
Lorsque l’on prononce le vocable « copie », nombre de regards se tournent vers un pays, la Chine, tant cette mauvaise réputation lui colle à la peau. L’exposition n’élude pas le sujet. Au contraire, elle en pointe même certains allers-retours inattendus. En témoigne cette recherche que Richard Hutten explique dans un film ici projeté. Après un voyage à Shenzhen et Guangzhou, « berceaux de la copie chinoise », il crée deux théières qui sont des pieds de nez à des modèles existants. La première double ses « excroissances », arborant deux anses et deux becs verseurs. La seconde reprend le corps d’une théière traditionnelle, mais l’anse d’origine (« maladroite », dit Hutten) a été substituée par une poignée style fer à repasser : « J’ai appliqué ce principe d’innovation dans la copie pour apporter une amélioration », s’amuse le designer, telle une mise en abîme de la copie.

Dans l’ultime salle, intitulée avec humour « Le Chagrin du designer », est notamment explicitée une aventure insolite arrivée à Sylvain Willenz. Le disque dur qu’il avait dessiné pour la firme allemande Freecom a, peu de temps après, été « calqué » par un fabricant chinois. La copie était, paraît-il, correcte, sinon perfectionnée. Si bien que le designer belge n’a pas hésité à reprendre cette amélioration pour un autre modèle de disque dur. Tel est pris qui croyait prendre.
Un conseil : pour parcourir l’exposition de manière optimale, le visiteur ne doit pas hésiter à se munir du bien-nommé Guide du visiteur, voire du catalogue, lesquels apportent moult précisions.

CECI N’EST PAS UNE COPIE

Commissaire de l’exposition : Chris Meplon
Scénographie : cabinet d’architecture GAFPA

CECI N’EST PAS UNE COPIE, DESIGN ENTRE INNOVATION ET IMITATION

Jusqu’au 26 février, au Centre d’innovation et de design du Grand-Hornu, 82, rue Sainte-Louise, 7301 Hornu (Belgique), www.cid-grand-hornu.be.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°472 du 3 février 2017, avec le titre suivant : Copie ou innovation ?

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