Dans l’Angleterre victorienne, William Morris s’insurgea contre l’industrialisation en posant les bases des Arts and Crafts. La Piscine, à Roubaix, met à l’honneur celui qui fut aussi éditeur, écrivain, entrepreneur engagé, et dont le travail continue d’influencer artistes et designers.
Des formes végétales, un air d’enluminure médiévale… Emblématique de l’art de William Morris, ce papier peint reste, aujourd’hui encore, l’un des plus vendus de la firme Morris & Co. William Morris puise son inspiration dans son enfance. Né en 1834, trois ans avant l’accession au trône de Victoria, à Walthamstow, un village au nord-est de Londres, le petit garçon, fils d’une famille aisée, ne va pas à l’école en raison d’une santé fragile ; il parcourt la campagne, où il observe les végétaux qui orneront ses tissus, et lit très jeune les romans historiques de Walter Scott, qui l’inspireront lorsqu’il créera en 1861 la firme de décoration Morris, Marshall, Faulkner & Co., qu’il reprendra en 1875 sous le nom de Morris & Co.
Si William Morris dessine, ce n’est guère pour composer des tableaux qui seront exposés dans des musées, mais pour concevoir des objets (papiers peints, vitraux, etc.) qui entreront dans des lieux de vie. À travers sa firme, William Morris, à la fois dessinateur, fabricant de meubles et d’objets d’art, écrivain, éditeur, créateur de caractère, militant socialiste et féru d’écologie, « décroissant » avant l’heure, pose les bases de ce qu’on nommera plus tard les Arts and Crafts : il défend un art « dans tout » et « pour tous », en réaction à l’apparition d’une société industrielle qui promeut la production en sacrifiant l’esthétique et le bien-être des ouvriers tout en défigurant les paysages. « Pour Morris, il ne s’agit pas de donner la liberté, l’art ou la culture à quelques-uns. Sa vision politique place l’humain au centre », explique Sylvette Botella-Gaudichon, commissaire de l’exposition. Et ses dessins sont au service de son utopie sociale.
Dessinée par le peintre britannique Edward Burne-Jones avec William Morris et le peintre John Henry Dearle, cette tapisserie représentant l’Adoration des mages témoigne de la collégialité du travail au sein de la firme Morris & Co. créée en 1861, où la distinction entre art et artisanat est abolie. La constitution du groupe d’artistes et d’artisans dont s’entoure William Morris commence avec la rencontre d’Edward Burne-Jones, en 1853, à Oxford. Ensemble, les deux étudiants en théologie voyagent et découvrent en 1854 les cathédrales d’Amiens, de Chartres et de Rouen. William Morris, grand lecteur de l’historien Thomas Carlyle et du critique d’art John Ruskin, qui avait déjà éveillé son intérêt pour l’iconographie du Moyen Âge, prend ainsi conscience de l’importance des artisans dans l’histoire de l’art et commence à étudier l’architecture. Par l’intermédiaire d’Edward Burne-Jones, qui a également renoncé à son désir d’entrer dans les ordres pour vouer sa vie à l’art, William Morris rencontre en 1856 le peintre préraphaélite Dante Gabriel Rossetti. Ce dernier l’encourage à étudier la peinture et le dessin. Les trois artistes travailleront désormais ensemble et n’auront de cesse de se nourrir les uns les autres. En 1859, Morris épouse Jane Burden, qui deviendra modèle et muse des artistes préraphaélites. Il demande aussitôt à l’architecte Philip Webb et à une équipe d’artisans collaborant avec lui de construire et de décorer, non loin de Londres, une maison familiale, la « Red House », où il pourra recevoir ses amis. En 1861, la firme Morris, Marshall, Faulkner & Co. voit le jour. Son succès est immédiat.
Trop de fioritures, trop d’angelots volant en tous sens ! En 1848, trois jeunes peintres étudiant à la Royal Academy, Dante Gabriel Rossetti, John Everett Millais et William Holman Hunt, qui rejettent l’académisme et reprochent aux suiveurs de Raphaël un art religieux trop fastueux et chargé, prônent un art pur, proche de la nature, expurgé du maniérisme. Puisant leur inspiration dans un art antérieur à la Renaissance, celui des primitifs italiens et flamands, ils fondent le mouvement « préraphaélite ». Ce portrait de Jeanne d’Arc témoigne du goût de Morris et de ses amis préraphaélites pour le Moyen Âge. « Jeanne d’Arc représente pour eux l’héroïne absolue, capable d’une abnégation totale pour Dieu et pour sauver son pays : elle est le plus pur symbole de ce que doit être la religion », explique Sylvette Botella-Gaudichon.
Fervent opposant de la révolution industrielle qui détruit la nature et la beauté, Morris réunit autour de lui des peintres préraphaélites et d’excellents artisans (architectes, brodeurs, vitraillistes, céramistes ou ébénistes), dont il tient à valoriser le talent et le travail par un salaire élevé. Conçu par l’architecte Philip Webb, ce buffet en acajou noirci complété par l’application de cuirs précieux a été réalisé par les artisans pour être commercialisé. S’il prône un art dans tout et pour tous, Morris accepte que le prix de ses pièces soit élevé. « Il tient en effet à mettre en œuvre dans sa firme ses théories sur le travail dans la “dignité”, qui implique une conscience de ce qu’on fait au sein de l’entreprise et une rémunération juste », souligne Sylvette Botella-Gaudichon.
S’il fut dessinateur, architecte, pionnier du design, William Morris voua aussi une passion particulière à la littérature et aux livres. « Pour lui, ils devaient être comme une cathédrale : beaux à l’extérieur et profonds à l’intérieur », souligne Sylvette Botella-Gaudichon. Celui qui mourut d’épuisement après une tuberculose, en 1896, fut aussi traducteur (du grec, du latin, du français ancien, de l’islandais), typographe (il inventa trois polices d’écriture), éditeur (il imprima cinquante-trois titres en huit ans) et écrivain. Son premier livre, publié en 1858, la Défense de Guenièvre, témoigne non seulement de son amour de la littérature et du Moyen Âge, mais aussi de sa sensibilité politique et de son féminisme. Dans ce long poème en prose, le jeune homme de 24 ans défend la liberté de choix de Guenièvre, figure mal aimée des préraphaélites qui célèbrent quant à eux son époux le roi Arthur, qu’elle osa tromper avec Lancelot… « C’est la première fois qu’on donne la parole à Gue-nièvre, à une époque où est promulguée une loi instaurant la liberté de divorce pour les hommes, alors que les femmes sont tenues d’apporter une preuve d’adultère et de maltraitance pour quitter leur époux », explique Sylvette Botella-Gaudichon.
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Comprendre l’art de William Morris
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°758 du 1 octobre 2022, avec le titre suivant : Comprendre l’art de William Morris