ROUBAIX
En évoquant un intérieur qu’il pourrait avoir décoré, l’exposition de La Piscine dévoile les multiples facettes d’un artiste qui voulait mettre la beauté à la portée de tous.
Roubaix (Nord). Treize ans après « Le groupe de Bloomsbury. Conversation anglaise » (2009-2010), Sylvette Botella-Gaudichon crée de nouveau l’événement avec la première exposition française consacrée à William Morris (1834-1896). Elle a réuni près de quatre-vingts œuvres et documents témoignant de la créativité de l’artiste britannique – peintre et décorateur mais aussi écrivain et traducteur – et de son rêve de rendre le monde beau et égalitaire. Pour présenter ce personnage complexe qui recherchait dans tous les domaines de l’art une simplicité dont il trouvait l’exemple dans le Moyen Âge, et qui fonda le mouvement Arts and Crafts, la commissaire n’a pas voulu être didactique. Elle ouvre plutôt des perspectives grâce à une scénographie immersive évoquant l’intérieur d’une maison. Le catalogue permet aux visiteurs d’explorer dans le détail chacune des facettes de l’homme et de son œuvre.
Aux murs sont collés des papiers peints dessinés par Morris, produits et vendus par l’entreprise de décoration Morris, Marshall, Faulkner & Co., puis par Morris & Co. qui a perduré jusqu’en 1940. Des papiers toujours commercialisés, comme d’ailleurs les tissus qu’il a créés pour Arthur Liberty. Mais son travail sur les papiers et tissus d’ameublement, et plus généralement son talent de dessinateur, sont surtout illustrés ici par des dessins originaux et des planches imprimées provenant essentiellement du Victoria and Albert Museum. Le musée londonien a aussi prêté des gravures, rappelant que Morris était éditeur et imprimeur. Nombre d’œuvres – une tapisserie, un vitrail, des tentures, des éléments de décoration et du mobilier, ainsi que des peintures préraphaélites, viennent du Musée d’Orsay. Une pièce à part est entièrement consacrée à la Red House, la maison créée au sud-est de Londres en 1859-1860 par Morris avec son épouse Jane Burden pour abriter sa vie familiale et le phalanstère artisanal et artistique dont il rêvait. À travers des textes et photographies, l’universitaire Jean-Étienne Grislain en décrit l’architecture et la décoration, celle-ci due en partie aux peintres préraphaélites parmi lesquels Edward Burne-Jones, très proche de Morris sa vie durant.
Les idées de celui qu’on a qualifié de « premier marxiste anglais » et qui prônait l’art pour tous sont évoquées par des citations rythmant la scénographie ou encore une photographie des membres de la Socialist League d’Hammersmith (Londres) qu’il a fondée en 1881 avec la fille de Karl Marx. La Ligue fut l’ancêtre du Parti socialiste anglais et, jusque dans les années 1930, celui-ci a utilisé le design de William Morris pour ses cartes d’adhérent. Les convictions féministes de l’artiste transparaissent dans ses dessins représentant la reine Guenièvre, épouse d’Arthur et amante de Lancelot dans la légende arthurienne. C’était pour lui un personnage emblématique : un texte qu’il a écrit à 23 ans, « The Defence of Guenevere », est un plaidoyer pour cette héroïne qui revendique le droit à la jouissance et à la liberté. On a longtemps cru que la seule toile de Morris connue représentait Guenièvre (elle est maintenant identifiée comme une Yseult). La Tate Gallery n’a pu la prêter en raison de sa fragilité, mais elle a envoyé Figure of Guinevere (1858, [voir ill.]) et un carton de vitrail, Guinevere and Iseult (1862).
Ce chef d’entreprise traitait avec le même respect les artisans et artistes des deux sexes qu’il employait et dont les écrits militants et les discours sont toujours publiés (outre ses romans de fantasy qui ont inspiré Tolkien). Mais il était aussi un écologiste. Dans le catalogue, on trouve un extrait d’un manifeste datant du 1er mai 1896 dans lequel il écrivait : « Le gaspillage [est] inséparable de la société de l’inégalité, ce gaspillage qui produit la pauvreté artificielle de notre civilisation […]. Gaspillage de matériaux, gaspillage de travail […]. Gaspillage, en un mot, de la VIE. »
La Piscine plonge dans l’Automne anglais
Autour de l’exposition. Parallèlement à l’exposition, le musée souligne le lien qui unit la ville de Roubaix et l’Angleterre. Une salle d’interprétation raconte la concurrence et la coopération de la ville avec les industriels anglais du textile installés à Manchester, Bradford et Leeds, relation dont témoignait le séjour de la reine Elizabeth II à Roubaix en 1957. Roubaix est d’ailleurs toujours jumelée à Bradford. Dans le parcours permanent de La Piscine, les œuvres en relation avec le Royaume-Uni sont réunies sous le titre « Roubaix Save the Queen », l’occasion de découvrir les sculptures représentant Margaret Thatcher de Gilles Fromonteil (On est mort de rire, 2016), aussi bien que les tissus britanniques, prince-de-galles, tweed ou tartan..Des artistes travaillant dans un esprit anglais sont également à l’honneur. Les vêtements de la styliste Marilyn Feltz ; les céramiques inspirées par le monde végétal d’Odile Levigoureux ; les collages, concentrés de nonsense, de Pat Le Sza ; les photographies réalisées par Hugo Laruelle dans des décors inspirés de Morris et le pop art plein d’humour de Luke Newton, Anglais installé à Roubaix, donnent à cette saison un accent « so Morris », comme le proclame Sylvette Botella-Gaudichon.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°597 du 21 octobre 2022, avec le titre suivant : Dans la maison de William Morris