Le peintre français et le sculpteur allemand ont été invités de concert à la Fondation Fernet-Branca. Le rapprochement de leurs œuvres tient à un fil ténu.
Sur l’affiche de l’exposition, l’association des deux noms, Philippe Cognée et Stephan Balkenhol, paraît incongrue. En témoigne la juxtaposition de ces deux œuvres, une toile évoquant deux maisons pour le premier et le portrait sculpté d’une femme en pied, en robe blanche plissée pour le second. La surprise augmente avec cette autre affiche indiquant, elle, l’exposition d’une troisième artiste, Marie Bovo. Pour cette dernière (née en 1967), la lecture est toutefois plus évidente puisque lui est dévolu le premier étage de la Fondation Fernet-Branca, à Saint-Louis (Haut-Rhin), avec une quarantaine de photographies issues de différentes séries, « Alger », « En route », « Cours intérieures », « Grisailles », « La voie de chemin de fer ». Avec un accrochage clair, une série par salle, et un travail d’une belle rigueur, l’ensemble constitue une belle exposition de photos.
Pour Cognée et Balkenhol (nés tous deux en 1957), les choses ne sont pas si simples, surtout lorsque les cinq premières salles sont exclusivement occupées par des sculptures ou reliefs muraux de Balkenhol. Mais où est passé Cognée ? Dans les cinq suivantes. Autrement dit, ils ne se rencontrent jamais. Le visiteur découvre ainsi deux expositions personnelles successives, ainsi que l’ont souhaité les deux protagonistes lorsqu’ils ont répondu à cette proposition de confrontation par Pierre-Jean Sugier, le directeur du lieu. Ce parti pris n’empêche toutefois pas le dialogue, bien au contraire, car le rapprochement de leurs œuvres se révèle au final très pertinent en incitant le spectateur à multiplier les allers et retours et à effectuer lui-même ce travail de recherche d’éventuels points communs aux deux démarches. Et il y va en découvrir de nombreux. Le premier se révèle dès les premières œuvres de Cognée, à la lecture du titre d’une peinture à la cire sur toile, selon sa technique habituelle. La Cité rouge, tel un déclic, nous fait revenir en arrière pour revoir, dans la première salle de Balkenhol, ses bois peints et leurs titres : Portrait de femme avec une robe verte (sur fond rose), Portrait d’homme avec un pull-over bleu (sur fond vert) et Femme avec un chemisier blanc (sur fond caca d’oie). Il apparaît alors que tout le parcours est guidé par un fil rouge : celui de la couleur. Le fait d’être revenu sur nos pas révèle un autre point commun aux deux artistes : la question du regard. Celui de tous les personnages de Balkenhol qui ne se regardent jamais, les yeux rêveurs ou attirés par une chose qui se situerait derrière le spectateur. Celui du spectateur que Cognée sollicite pour faire le point et reconstituer les images de ses tableaux volontairement floutés, parfois presque jusqu’à l’abstraction, notamment dans les plus récents qui évoquent des tapis persans.
Mélancolie sourde
Au fil des salles émane également, dans les personnages de l’un comme dans les lieux de l’autre, une mélancolie sourde. Et, de façon évidente au travers de leurs sujets respectifs, l’attachement à la figuration. Mais il n’y a pas entre eux que des convergences. Leurs œuvres affirment aussi des oppositions marquées, qui, contre toute attente, font naître un riche dialogue. Ainsi, à l’aspect lisse, doux, cireux des toiles de Cognée répond la surface irrégulière et rugueuse des bois peints de Balkenhol. De même la solitude des personnages de ce dernier s’oppose-t-elle radicalement aux foules, aux effets de multitude de Cognée, agrégation de toits et de maisons dans ses médinas, de produits alimentaires dans ses supermarchés. Les quelques peintures de cette série lui permettent d’introduire une œuvre magistrale, présentée sur des réglettes comme dans les grandes surfaces, montrée pour la première fois et de façon opportune. Intitulée Ten Years, 2003-2013, elle se compose de 1 100 peintures réalisées sur les pages (marouflées sur aluminium) extraites des catalogues de la foire Art Basel, Bâle étant située de l’autre côté du pont qui la relie à Saint-Louis. Et c’est justement des ponts que cette exposition construit entre deux univers qui ont plus de frontières communes qu’on n’aurait pu le croire et qui, ainsi confrontés, modifient leur lecture respective.
Commissaire : Pierre-Jean Sugier
Nombre d’œuvres : 72
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Cognée-Balkenhol, un dialogue inattendu
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Abonnez-vous dès 1 €jusqu’au 9 octobre, Fondation Fernet-Branca, 2, rue du Ballon, 68300 Saint-Louis, tél.
03 89 69 10 77, du mercredi au samedi 13h-18h, www.fondationfernet-branca.org, entrée 8 €. Catalogues : Cognée/Balkenhol, 80 p, 25 € ; Marie
Bovo, 64 p, 20 €.
Légende Photo :
Stephan Balkenhol, Hermaphrodit, 2013, bois peint, 224 x 110 x 95 cm ; Große Reliefzeichnung (Nike/Kopf), 2014, bois peint, 300 x 200 x 50 cm ; Großer Man mit weißem Hemd und schwarzer Hose, 2014, bois peint, 300 x 100 x 100 cm. © Photo : Laurent Troendlé, courtesy Deweer Galery, Otegem et Galerie Thaddaeus Ropas, Paris.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°461 du 8 juillet 2016, avec le titre suivant : Cognée-Balkenhol, un dialogue inattendu